Aron Flantzer et Charlotte Pessah, le jour de leur mariage (sd, sl). Archives familiales

Aron FLANTZER
par son fils Achille Flantzer et sa fille Solange Gluckman

Achille Flantzer écrit :

Mon père, né en 1905 à Kazymiers, près de Lublin, s’appelait Aron, mais on l’appelait Léon. Mes grands-parents, restés en Pologne, devaient être chapeliers, comme mon père. Ma grand-mère, que je n’ai pas connue, est morte, déportée de Pologne. D’après une photo, Chil, mon grand-père, avait un grand chapeau, une grande barbe, comme un rabbin, il devait être très pratiquant. Il s’est marié deux fois : ma grand-mère est morte quand elle a accouché d’un fils, Charles Flantzer, qui est mort en 1964. Le grand-père s’est remarié avec une cousine.

Mon père n’était pas très pratiquant. Il avait 18 ans quand il est venu en France en 1923 pour gagner sa vie. Très occupé, il prenait soin de nous, c’était un brave homme.

Ma sœur est née en 1936 et mon frère est né en décembre 1941, alors que mon père était à Pithiviers.

Il y avait certainement des signes inquiétants avant son arrestation, mais mes parents préféraient sans doute ne pas en parler.

Le père de ma mère, Joseph Pesah, était venu avec toute sa famille de Salonique, en Grèce, qui était sous la domination turque. Tous les enfants des grands-parents parlaient le judéo-espagnol. Ma mère parlait le ladino. Elle avait appris le français à Salonique dans une école française de bonnes sœurs. Sa mère est morte en 1936 en France.

Je ne sais pas si mon père avait été se déclarer comme Juif. En 1941, il a reçu une convocation pour se rendre au commissariat de la rue Sainte-Croix. Il n’a pas discuté, il y est allé, muni d’un baluchon. Je pense qu’il y a été seul, puis on l’a embarqué directement à Beaune-la-Rolande. À vrai dire, je ne m’en souviens pas.

Je suis allé lui rendre visite avec ma mère, une fois, certainement en train. On est entré, c’était un camp avec des baraquements. On a dû y rester une demi-journée, le temps de se promener. Il avait le droit de sortir car il travaillait en dehors, probablement dans une ferme. Il ne pouvait rien faire d’autre que travailler dans une ferme, ce n’était pas une fabrique. Ma sœur n’était pas venue, elle était trop petite. Je n’y suis allé qu’une fois. Je crois qu’il écrivait des lettres. Il a écrit dans le train sur un bout de papier qu’il avait sur lui, qu’il a balancé dehors, qui a été ramassé et que ma mère a reçu. Je ne sais pas comment je l’ai su.

Je ne sais pas comment nous avons survécu. Ma mère faisait les marchés de Montargis avec mon père, elle y a connu une dame, Madame Chauvinau qui habitait Dordives où nous avons été mis en nourrice. Elle est venue nous voir une fois. On y était tous les trois avec une cousine dont la mère, sœur de mon père, avait également été déportée.

Pendant ce temps, ma mère vendait des bas avec sa belle-sœur. Elle s’est fait arrêter bêtement par les flics parce que sa belle-sœur ne prenait pas trop de précautions. Ils l’ont raflée dans un bistro de la rue du Temple, pour marché noir. Elles ont été envoyées à la Petite Roquette. Ma mère a été déportée le 31 juillet 1943, convoi 58.

Je suis resté à Dordives jusqu’à la Libération. J’ai fait ma 6e au collège de Montargis, en 1945. Puis notre oncle Charles Flantzer nous a pris chez lui. Ma sœur a été à l’école de filles à Dordives.

On m’a mis à l’école Maimonide, j’étais pensionnaire. Entre-temps, mon oncle s’est remarié, la belle-mère ne me plaisait pas, c’est elle qui a élevé mon frère. Ma sœur était chez une autre tante, Frankel, dans les beaux quartiers, dans le 17e, c’étaient les riches de la famille. Ils avaient trois fils qui sont morts tous les trois. Le père était l’importateur des blue-jeans. On se voyait de temps en temps. L’appartement de nos parents a été spolié. Mon oncle a repris l’appartement.

Je savais bien que mes parents ne reviendraient pas, je le pressentais. Ma mère et ma tante ont été transférées à Drancy, puis Auschwitz. Il n’y a qu’un certificat de disparition. Mon père est mort en arrivant à Birkenau.

Mon frère habite dans le 4e à Paris, ma sœur en Israël. Avec ma sœur, on en a très peu parlé.

Il me reste une seule photo du mariage de mes parents.

 

Solange Gluckman née Flantzer écrit :

Sur sa fiche d’entrée au camp datant du 14 mai 1941, le numéro de sa baraque est le n° 12 et un autre chiffre en grand 391, fait avec un tampon, le reste étant manuscrit. Sur un autre papier, j’ai aussi une description physique de notre père, mais elle doit dater de plus tard, car il porte des sabots et je ne l’imagine pas se présentant aux autorités françaises, à la suite du «billet vert», avec des sabots.

Je vais essayer d’évoquer le seul souvenir qui me semble authentique à propos de mon père. Ma mère est dans la cuisine et elle me demande d’appeler mon père pour le déjeuner, et pour l’attirer, elle me dit de lui dire qu’il y a aujourd’hui du riz avec des haricots blancs à la tomate. Ce qui me fait penser que cette scène est authentique est le fait que ma mère était de Salonique et que ce plat est typique des Juifs Sépharades. Je l’ai d’ailleurs retrouvé une fois chez une tante, sœur de ma mère.

Mes parents étaient chapeliers et travaillaient à la maison. Les fins de semaines, ils vendaient les chapeaux sur les marchés ouverts. Notre appartement se composait d’un long couloir et sur le côté gauche, des trois pièces de l’appartement. Au fond du couloir à droite, la cuisine. L’atelier était dans la première pièce en face de l’entrée. Mes parents devaient travailler durant de longues heures.

Un autre souvenir, mais beaucoup moins net, est le suivant : un pique-nique à la campagne. Il y a d’autres personnes. Mon père et ma mère sont assis sur l’herbe et cherchent des trèfles à quatre feuilles. Un nom me reste, Montfermeil. 

 

Témoignage recueilli en 2009

 

 

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ARON FLANTZER
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 8 juillet 1942 à l’âge de 36 ans

ACHILLE FLANTZER
Fils d’Aron Flantzer

SOLANGE GLUCKMAN
Fille d’Aron flantzer
Née en 1936