Israël Cendorf devant une baraque du camp de Pithiviers (entre mai 1941 et juin 1942, sd). Archives familiales

Israël-Szyja CENDORF
par sa fille Micheline Cendorf

Rien de plus difficile et perturbant que d’avoir à écrire sur son père.

Israël-Szhya est né le 19 mai 1902 à Lodz dans une famille hassidique, originaire d’Alexandrov. Premier enfant à survivre, ses parents l'habillent de blanc et le destinent au rabbinat. La famille déménage à Alexander, c’est là qu’Israël étudie d’abord au heder, puis à la yeshiva à Gnostinia. Son père étant mort soudainement, il doit abandonner ses études afin d’aider sa mère à élever ses frères et sœurs. Il contribue cependant à la création d’une école hébraïque où étudièrent plus de 400 élèves.

Il repart à Lodz et se retrouve plongé dans cette ville industrielle où se développent rapidement les idées socialistes qu’il avait déjà connues à la yeshiva, où les textes d’études étaient en allemand et où circulaient les œuvres de Marx et Engels.

Autodidacte, il part à Varsovie, apprend le métier de typographe et travaille au Volkszeitung, journal du peuple. Dans le centre bouillonnant de culture qu’était Varsovie dans les années 1920, il a cherché à étendre sa culture en s’intégrant dans les milieux de gauche, il devient un militant actif et étudie les langues étrangères.

Son talent littéraire se révèle, et il publie dans la Tribune Littéraire des poèmes qui firent une très grande impression sur les jeunes, sur les critiques et écrivains et poètes de l’époque.

Il est renvoyé de son travail, retourne à Alexander, écrit des poèmes révolutionnaires et des textes pour encourager à la lutte des jeunes générations.

Poursuivi par la police qui perquisitionne à son domicile, chez sa mère, il est arrêté tous les premiers mai, toute manifestation étant interdite. Il passe alors la journée à jouer aux échecs avec le directeur de la prison.

Après la mort de sa mère, dans les années 30, il part à Danzig “ville libre”. Son premier livre de poèmes est édité. Roite Capel (Les ordres rouges) est un ouvrage qui, dans la Pologne fascisante de ces années-là, aurait sans doute été interdit et son auteur emprisonné.

Après l’arrivée au pouvoir des nazis, il part à Paris. Il est très actif dans les milieux de la culture, il participe à des conférences littéraires avec un nombreux public, il est correspondant de deux journaux polonais et écrit dans la Presse Nouvelle (Naie Presse). Mais il ne trouve pas de travail, ni comme journaliste ni comme typographe, ses deux métiers.

Il devient marchand ambulant sur les marchés.

Il rencontre ma mère, Sarah Fajga Goldfarb-Arbeiter dite Stella. Ils ont une fille en 1937, Clara Rebecca. Malade d’une rougeole mal soignée, elle meurt à l’hôpital à 27 mois. Dans cette période très dure entre la maladie et le décès de l’enfant qui les ont détruits, il renonce à partir combattre en Espagne et a dû trouver des moyens d’existence.

Il est expulsé de France par le gouvernement de l’époque. Mes parents se préparaient à émigrer en URSS. Grâce au Front populaire et à des interventions à un haut niveau, cet arrêté d’expulsion est annulé. L’activité de mon père fut très importante dans la préparation du congrès des écrivains pour la paix et dans la vie culturelle des Juifs de Belleville.

À la déclaration de guerre, il s’engage comme tous les progressistes étrangers alors en France. Stella est évacuée à Angoulême où je nais le 23 juin 1940. Après la débâcle, mon père nous y rejoint et nous rentrons à Paris 6 semaines après ma naissance.

Là, mon père reprend contact avec ses camarades de Belleville. Ils commencent tout de suite une activité de résistance, tracts, publications etc.

J’ai en mémoire le récit de ma mère, sa frayeur lors d’une perquisition de la police, ouvrant les ouvrages de sa très nombreuse bibliothèque et s’arrêtant juste avant les ouvrages où étaient cachés les documents recherchés.

Arrive le “billet vert”. Mon père discuta longuement avec ses camarades de Belleville. Il finit par y aller, malgré les réserves de ma mère. Ma mère est allée le voir plusieurs fois, avec moi au moins une fois. Les nombreuses lettres qu’il envoie témoignent des difficultés du quotidien.

Il a immédiatement fait partie de la résistance du camp, sous toutes ses formes. L’organisation du camp à Pithiviers lui demanda de travailler au moral des internés. Il allait donc de baraque en baraque lire ses poèmes, il participait à des conférences culturelles. Il demanda l’autorisation de s’évader à l’organisation de résistance au camp. Elle lui fut refusée : on considérait sa présence comme indispensable pour le moral des internés.

Dès son arrivée au camp, il retrouve son inspiration dans des poèmes : son amour pour sa femme et sa fille Micheline et pour la langue et la culture yiddish.

À la libération, un rescapé a accompagné ma mère à Pithiviers pour déterrer la boîte en fer qui contenait les poèmes écrits dans le camp.

Ma mère était sans doute déçue de sa non évasion, d’autant plus qu’elle lui avait envoyé de l’argent pour cela et qu’il s’en était servi pour acheter des dictionnaires.

On l’a attendu, elle allait tout le temps au Lutétia.

Avec les autobus, on est allés tous les ans à Pithiviers et je me souviens avec émotion qu’on chantait tous ensemble au retour dans un champ ou dans une clairière. La chorale populaire juive chantait avec Kawka dont la fidélité inébranlable a résisté jusqu’au bout, en hommage à ses camarades disparus et pour chanter l’hymne du camp, hymne qui a accompagné jusqu’à la chambre à gaz des anciens internés de Pithiviers. L’amitié du poète communiste et du musicien socialiste, Mendel Zemelman, était un symbole d’unité dans le camp.

Craignant une arrestation, ma mère trouva trois endroits où nous cacher à Noisy-sur-Ecole et Auvers-sur-Ecole.

À la Libération, nous avons été accueillies d’abord avenue Secrétan dans une école juive dont les salles étaient transformées en dortoirs. Notre appartement était occupé par un soi-disant sinistré. Nous eûmes des difficultés pour le récupérer. Presque tous les livres ont été volés, sans doute par les Allemands. Il est très douloureux de ne pas hériter de la bibliothèque de ses parents. Les livres faisaient totalement partie de la personnalité de mon père, personnalité tellement riche qu’il était estimé et respecté de tous ceux qui l’avaient côtoyé.

Quant à moi, je suis restée une éternelle orpheline.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

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ISRAËL-SZYJA CENDORF
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 20 août 1942 à l’âge de 40 ans

MICHELINE CENDORF
Fille d’Israël-Szyja Cendorf
Née le 23 juin 1940 à Angoulême
Décédée en 2013