La fratrie Papiernik (sd, sl). Archives familiales

La fratrie PAPIERNIK, Motl, Isaac (Icek), Charles, Félix (Fajvel)
par Emile Papiernik

Ils sont sept frères : Wolf, engagé volontaire, est mort au combat, près de Soissons, Motl, Isaac (Icek), Charles, Felix (Fajvel) ont été déportés par le 5e convoi, Yankel par le 31e, seul Charles revient d’Auschwitz. Moïshe, lui, ne reçoit pas le fameux “billet vert”, du 14 mai 1941, nul ne sait pourquoi. Il a le temps de se cacher.

Mais revenons au début de l’histoire. Les sept frères sont originaires de Przysucha, petite ville de Pologne entre Radom et Varsovie : issue d’une famille de schnaiders (tailleurs en yiddish), et de syndicalistes où l’on vote bundiste.
C’est Moïshe, l’aîné, qui va donner le signal du départ, tout à fait par hasard d’ailleurs. En 1928, son patron l’envoie à Paris pour prendre des modèles. Revenu l’année d’après, il décide de rester et de préparer la venue de la fratrie.
Il est difficile d’avoir un permis de travail en France en ces temps moroses où la crise pointe son nez, sauf lorsque l’on est inscrit dans un registre du commerce. Qu’à cela ne tienne ! Moïshe et Isaac créent une société en nom collectif de “Papiernik et Cie”, ce qui permet à chacun d’arriver et de trouver du travail dans la confection, une fois le précieux papier en poche. Il y a beaucoup de va-et-vient dans cette société : les deux plus jeunes, Charles et Félix, arrivent en dernier. Tous sont tailleurs à façon dans un atelier de la rue Vieille du Temple. Tous habitent le Pletzel, à quelques rues les uns des autres. Tous se retrouvent aux réunions du syndicat de la confection, le Nudel fareign. Tous font souche, se marient, ont des enfants, beaucoup de garçons à qui l’on donne le prénom du grand-père : Émile. Il y en a quatre dans la deuxième génération des Papiernik. Isaac a une fille et Charles a deux filles. Une fratrie sans histoire, sinon les petites histoires des grandes familles.

Ils ne sont plus que six frères, lorsqu’arrive la convocation du “billet vert”. Pas de discussion dans la fratrie, d’ailleurs, il semble que ce sont les policiers qui viennent chercher Isaac, qui de la rue Elzévir où il habitait, passe devant chez son frère Moïshe qui sort l’embrasser. Les deux frères ne se reverront plus.

Isaac, Charles, Félix, Motl, séparés dans un premier temps, se retrouvent à Beaune-la-Rolande. Yankel, qui avait changé d’adresse, n’est pas convoqué, il sera arrêté un an plus tard.

Isaac et Motl vont s’échapper de Beaune-la-Rolande : ils travaillent chez des paysans, ce qui est plus facile pour fausser compagnie. Ils vont se cacher dans l’hôtel d’une amie non juive de leur frère Charles. Mais hélas, des bonnes âmes viennent leur dire que c’est dangereux pour leur famille. Que faire d’autre que de retourner au camp ?

Ils partent tous par le convoi 5 où se trouvent également des amis et un membre de la belle-famille, les Kornmester, persuadés qu’ils partent travailler à l’Est et qu’ils reviendront très vite.

Le voyage est raconté par Charles, dans un récit publié par morceaux, dès son retour en 1946, dans le journal Le réveil des jeunes, organe de la jeunesse socialiste du Bund : 
“Samedi 27 juin 1942. Mille hommes, quatre-vingt cinq femmes, internés à Beaune-la-Rolande. Leur arrêt de mort est signé et, à six heures du soir, les Allemands nous conduisent à la gare. 65 hommes par wagon “homme 40, chevaux en long 8”, 65 hommes entassés les uns sur les autres, la moitié du wagon occupée par des bagages, 65 hommes ne pouvant ni s’asseoir, ni rester debout. Une chaleur étouffante.
Jusqu’à Metz, la population française, malgré la garde de la
Feldgendarmerie, se montre pleine de compréhension pour nous et nous apporte de l’eau. La soif se fait cruellement sentir de Metz à Auschwitz. Pas une goutte d’eau et une jeune fille de la Croix-Rouge à qui je demande à boire me répond qu’elle ne sert que la Wehrmacht. Toutes nos pensées sont concentrées sur un seul point : boire, calmer la soif dévorante qui nous torture. On peut devenir fou…
30 juin, 11 heures du matin. Arrivée à Auschwitz. Nous préparons nos bagages. Les portes s’ouvrent. Des SS, armés de triques et de pistolets, montés sur des chevaux, nous enjoignent de descendre, avec force coups. Les bagages restent dans les wagons. Des cris, des hurlements. Le véritable enfer commence.
“Vordermann” (en rang) par cinq ! La marche funèbre commence. Dans le camp, d’anciens bandits sont les chefs. Ils viennent prendre ce qui nous reste : montres, chaussures. Ceux qui refusent peuvent dire adieu à la vie.”

Ainsi commence leur descente aux enfers. Charles a su garder ses convictions et son texte est un puissant cri de révolte qui garde toute sa force. Il créa avec Henri Bulawko l’Amicale des anciens déportés juifs de France.

Ils étaient sept frères, de solides gaillards, comme on peut le voir sur la photo, persuadés qu’ils seraient “heureux comme Dieu en France”. Sans doute ne croyaient-ils pas en Dieu, mais ils croyaient, cheville au corps, en l’homme.

Moïshe, le seul à ne pas avoir été arrêté le 14 mai 1941, a pu se cacher lors de la rafle du Vel d’Hiv, après avoir mis ses garçons, Jo, Paul et Émile à l’abri. Un an après, sa femme Hadassa se fait arrêter dans l’escalier en descendant faire des courses, alors que les policiers venaient chercher quelqu’un d’autre. Elle est déportée le 28 octobre 1943 par le convoi 61.

Après la guerre, Moïshe continue à militer au Bund ; il a transmis à ses enfants les valeurs de solidarité internationalistes qui étaient les siennes et, avant lui, celles de ses parents.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

 

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MOTL PAPIERNIK
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 10 août 1942 à l’âge de 34 ans

ISAAC (ICEK) PAPIERNIK
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 18 août 1942 à l’âge de 39 ans

CHARLES PAPIERNIK
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Revient de déportation

FÉLIX (FAJVEL) PAPIERNIK
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 22 août 1942 à l’âge de 29 ans

EMILE PAPIERNIK