Extrait du registre des internés du camp de Beaune-la-Rolande (1941-juillet 1942) – Jakob Berger. Archives départementales du Loiret – 175 W 34120

Monasche (dit Michel) SZAFRAN mon frère et Jacob (dit Jacques) BERGER mon beau-frère,
par Jankiel (dit Jacques) Safran

Je suis le seul encore en vie d’une famille de sept enfants (dont quatre et les parents sont morts en déportation). J’étais le plus jeune.

En 1926, année de mon arrivée en France avec ma mère et trois sœurs, j’avais 3 ans.

Mon père, ainsi que mes trois frères, avaient émigré peu de temps après ma naissance. À Paris, tous travaillaient très dur afin de préparer la venue du reste de la famille. La France, à cette époque, après l’hécatombe de la Grande guerre, avait besoin de main-d’œuvre.

Nous venions de Praga, un faubourg populaire de Varsovie, où la vie n’était pas facile pour une famille de sept enfants. Les conditions économiques étaient désastreuses pour nous, Juifs de condition modeste, en butte à un antisémitisme permanent.

Avant notre arrivée, mon père avait pu louer un petit appartement à Bagnolet, un peu exigu, quoique confortable pour nous. L’école maternelle, toute proche, m’ouvrait ses portes et très vite, je maîtrisais le français. Je me fis de nombreux petits copains et copines à l’école, ainsi que dans la cour de notre petit immeuble. Tout autour de nous, voisins, commerçants se montraient accueillants, voire sympathiques. Nulle trace apparente d’antisémitisme ou de xénophobie.

Dans les années 1930/32, nous avons emménagé dans un logement beaucoup plus vaste à Paris, rue St-Martin, où mon père et deux de mes frères installèrent un atelier de tricotage/ montage à façon. La semaine de travail dépassait largement les 35 heures à cette époque ! Mais malgré la précarité de nos ressources, nous vivions paisibles et heureux.

Malgré tout, nous sentions des menaces poindre en Europe : le fascisme en Italie, la montée du nazisme en Allemagne et leur soutien militaire au franquisme en Espagne.

Vint “la Nuit de cristal, suivie des “Accords de Munich” en 1938. La menace se précisait. Des immigrants juifs commencèrent à affluer d’Allemagne et confirmèrent nos craintes.

Puis ce fut la déclaration de guerre en 1939. Dès les premiers jours, engagement volontaire dans l’armée française de deux de mes frères, ainsi que deux beaux-frères, comme le fit la majorité des Juifs étrangers. Brève formation/entraînement, affublés des uniformes bleu horizon datant de 14/18 ! Et hop au front !

Juin 1940 : débâcle, exode. Les armées françaises refluent vers la Loire.

Recensement obligatoire des Juifs à partir de 17 ans. Je refuse de m’y soumettre. Prémonition, conscience du danger ?

Un de mes frères, blessé et prisonnier de guerre, puis libéré par les Allemands, entrera dans un réseau de résistance à Lyon.

Malheureusement, en janvier 1943, remontant sur Paris pour voir la famille, à Dordives (lieu où ma famille et moi nous cachions sous une fausse identité), il sera arrêté par la Feldgendarmerie allemande… Trahi… Dénoncé ?... Par qui ?

Auparavant, un autre de mes frères Michel, ainsi qu’un beau-frère, démobilisés, s’échappent vers la zone libre, puis retournent à Paris vers leurs foyers. Ils atterriront à Beaune-la-Rolande, après la convocation du “billet vert”.

Selon les autorités de Vichy, il ne s’agissait que d’une simple vérification. Mes frères, respectueux de la loi, s’y rendirent tous.

J’ai pu rendre visite à mes deux internés par deux fois, au camp de Beaune-la-Rolande.

Les gendarmes étaient débonnaires, les internés semblaient avoir bon moral et croyaient que leurs familles les rejoindraient plus tard, dans un lieu plus favorable.

À l’époque, des amis à Montargis m’assuraient pouvoir faire évader mes deux prisonniers (après avoir “acheté” des gardiens), puis leur faire passer la ligne de démarcation. Tout cela moyennant finances. Mes deux prisonniers ont refusé ma proposition, redoutant que leur femme et leurs enfants en subissent les conséquences.

Bien que n’ayant que 17 ans, dans l’ignorance totale d’Auschwitz, je pressentais que c’était leur dernière chance d’échapper au pire.

Ainsi que le reste de ma famille, ils ne reviendront pas.

Monasche a été déporté par le convoi n°2, il était né le 4 mars 1909 à Sierotzk (Pologne). Jacob a été déporté par le convoi 5. Il était né le 16 mai 1908 à Lodz.

Pour moi, la suite sera une longue partie de cache-cache, me méfiant de tout et de tous : des rafles dans le métro parisien, de la police en uniforme, des voisins “bon teint” un peu trop indiscrets et des concierges trop zélées.

J’ai pu cacher les trois enfants de mon frère, ainsi que le fils de mon beau-frère dans des institutions religieuses et chez des nourrices, grâce aux quelques économies laissées par mes parents.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

Revenir en haut

MONASCHE (DIT MICHEL) SZAFRAN
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté par le convoi n°2 à Auschwitz le 5 juin 1942 
Assassiné à Auschwitz le 24 juillet 1942 à l’âge de 32 ans

JACOB (DIT JACQUES) BERGER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 6 septembre 1942 à l’âge de 36 ans

JANKIEL (DIT JACQUES) SAFRAN
Frère de Monasche (dit Michel) Szafran
Beau-frère de Jacob (dit Jacques) Berger
en 1923