Pessah Piwnika avec sa femme (sd, sl). Archives familiales

Pessah PIWNIKA
par sa fille Mme Heftman

Mon père est né à Varsovie en 1906 dans une famille assez modeste, très pratiquante, comme la plupart en Pologne. Il était dans le tricotage. Je me souviens qu’il avait une sœur plus âgée qui s’est réfugiée au Brésil avant la guerre, que j’ai vue la fois où elle était venue de Pologne à Paris dire au revoir à son frère. Mon père ne parlait pas bien français et n’a pas beaucoup évoqué son passé en Pologne. Mes parents parlaient yiddish entre eux.

Il s’est marié en Pologne avec ma mère qui est d’abord venue en France en passant par la Belgique et qui, ensuite, a fait venir mon père. Ma mère était une femme dynamique, aux idées très avancées, très moderne. Elle avait été giflée par un Polonais qui l’avait traitée de sale juive et elle avait décidé qu’elle ne resterait plus là-bas. Je crois que ma mère travaillait dans la couture.

Mes parents se sont installés 19 rue Jouye-Rouve, en haut de la rue de Belleville, à Paris. Ils travaillaient dans un atelier, et maman travaillait même le dimanche, elle faisait « les puces ».

Ils sont partis à Roanne dans la Loire où se trouvait une communauté juive, et où je suis née en 1934. Mon frère, né en 1932, est décédé à la suite d’un vaccin, et mes parents sont repartis à Paris.

À la maison, l’atmosphère était très détendue, j’allais dans une petite école. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’enfants déportés de l’école, parce que je me souviens que lorsque j’ai dit à ma maîtresse que le lendemain, je viendrais à l’école avec une étoile jaune, elle a dit à toute la classe : “Vous avez une camarade qui va venir demain avec une étoile cousue sur son vêtement, je ne veux pas entendre un seul qui se moque d’elle, sinon je le mets dehors”. Donc, je devais être toute seule.

À l’époque, il n’y avait pas d’inquiétude. Nous n’avions pas de famille proche, à part un oncle, un frère de ma mère qui est resté au Maroc pendant toute la guerre, sur les conseils de ma mère. Quand mon père a reçu le “billet vert”, ma mère, qui devait avoir des pressentiments, lui a dit : “N’y vas pas”. Il a répondu qu’il n’avait rien fait de mal, et donc qu’il se présenterait.

Je me souviens très bien être allée le voir une fois, à Beaune-la-Rolande en train. C’est assez vague, j’avais sept ans, je ne mesurais pas l’importance de ce que cette visite pouvait représenter. On y est allées à midi, on ne lui a rien apporté parce que c’était interdit. On est entrées dans le camp, mais pas loin à l’intérieur.

On a dû aller le voir très vite, après son arrestation. D’ailleurs, sur les photos, on voit qu’il est bien. Mais certainement, par la suite, les visites étaient interdites parce qu’on n’y est pas retournées et ensuite on s’est cachées. On n’a pas reçu de lettres.

Maman m’a cachée chez les gardiens du château de Fontainebleau. Je ne sais pas comment elle avait eu cette adresse. J’ai le souvenir qu’il y avait même des Allemands qui sont venus. Maman était, elle, cachée chez nous, au rez-de-chaussée. C’est la gardienne qui la nourrissait. Elle a failli être arrêtée, mais elle a sauté par la fenêtre, elle m’a raconté cela après.

Puis elle a trouvé un passeur pour passer la ligne de démarcation et nous avons pris un train pour Vierzon vers 1943. On est retournées à Roanne qui était alors en zone libre. On y est restées. On habitait dans une cave. Mais je n’ai pas souffert de cette période, car maman prenait bien soin de moi. J’allais à l’école. Lorsque les Allemands sont arrivés à Roanne, j’ai été cachée chez des paysans qui m’ont prise pour Cosette et m’ont fait faire des gros travaux.

On a eu un papier disant que mon père était décédé. Monsieur Metelski, revenu de déportation, a déclaré, en 1947, “avoir vu mourir Monsieur Piwnika en 1942”.

J’ai quitté Roanne en 1957 et j’habite maintenant Paris. Ma mère s’est remariée quatre ou cinq ans après la guerre avec un monsieur qui avait connu mon père et qui n’avait jamais été marié. C’est seulement quand je me suis mariée que l’on a décidé d’appeler mon beau-père Papy.

Maman a voulu occulter toute cette période. Mon grand regret est de ne pas avoir pu l’interroger plus. Elle m’a seulement dit de mon père qu’il était très gentil. Tout le monde disait que je lui ressemblais. Mais je n’ai aucun souvenir de lui, ni de l’avoir attendu.

J’ai trois enfants et on leur a toujours parlé de cette période. Mais c’est surtout ma petite-fille qui m’a beaucoup interrogée, ce qui me fait plaisir. J’ai envie de transmettre l’histoire de mes parents, le peu que je sais. Je suis allée à Auschwitz, j’avais besoin d’y aller. Je n’ai plus de famille et j’ai été les honorer. Ma mère est morte en 1981. Elle a souffert toute sa vie, en Pologne et en France. Si je ne témoigne pas, qui le fera ?

 

Témoignage recueilli en 2008

 

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PESSAH PIWNIKA
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz

MADAME HEFTMAN
Fille de Pessah Piwnika
Née en 1934 à Roanne (Loire)