Pinches-Moszek Szabmacher à son retour de déportation (sd, sl). Archives familiales

Pinches-Moszek SZABMACHER
par ses enfants Robert Samacher, Pesa (Paulette) Katz et Chana (Anna) Schwartz

Pinches Moszek Szabmacher (nom patronymique après naturalisation en 1947 : Samacher)
Né le 12 octobre 1904 à Kurow (Pologne)
Fils de Lejbus et de Fajga Zysla Gelburd
Marié à Ita Farberman, née en 1901 à Kurow (Pologne), fille de Judka et de Sura Basista
Mariage : le 21 février 1939 à la Mairie du 11e arrondissement de Paris

Ils ont eu cinq enfants :
Sura née le 15 août 1924 à Varsovie (Pologne), Chana née le 25 juin 1926 à Varsovie, Pesa née le 20 janvier 1928 à Varsovie, Jacques né le 13 mars 1930 à Paris 12e, Joseph Robert né le 19 janvier 1940 à Paris 13e.

Pinches a fait un premier séjour en France en 1923, il est retourné en Pologne, puis a décidé d’émigrer en France en 1928. Le regroupement familial se fait en 1928, Jacques naît à Paris en 1930.

Notre père travaille à façon comme tailleur pour hommes et dames, il obtient des papiers et fait venir son frère qui, par malchance, est arrêté par la police en 1939 et expulsé vers la Pologne.

Ce frère disparaîtra pendant la guerre avec l’ensemble de la famille, son père, sa mère, ainsi que deux sœurs avec maris et enfants. Il en sera de même pour la famille maternelle.

Notre père et sa famille s’installent tout d’abord dans un hôtel rue Julien Lacroix, puis dans un petit appartement Passage Ronce, Paris 20e, et déménagent ensuite dans un appartement plus grand, comprenant trois pièces au 110, rue de Montreuil Paris 11e. La famille y restera jusqu’au mois de mai 1941, date à laquelle elle emménagera au 50, rue Vitruve Paris 20e.

Notre père est convoqué peu de temps avant, le 14 mai 1941, au Gymnase Japy, il est arrêté et interné à Beaune-la- Rolande dans le Loiret.

Les prisonniers peuvent alors avoir des contacts avec la population, certains vont travailler chez les fermiers et peuvent leur acheter de la nourriture. Il est aussi possible d’adresser du courrier à la famille. C’est Pesa (Paulette) qui se charge d’écrire. Malheureusement aucune lettre n’a été conservée.

À la suite de l’hospitalisation de Pesa (Paulette) à l’hôpital Saint-Louis, Chana (Anna), alors âgée de 13 ans, se rend à la Préfecture du Loiret à Orléans et obtient une permission de sortie pour notre père.

À l’échéance de la permission, notre père décide de ne pas retourner au camp de Beaune-la- Rolande, il se cache à son domicile au 50 rue Vitruve. La dernière pièce de cet appartement donnait sur le toit d’une fabrique de meubles que l’on pouvait atteindre en passant par la fenêtre de cette chambre. Alors que deux inspecteurs français en civil sont venus le chercher, Pinches a pensé qu’en se réfugiant sur ce toit, il serait hors d’atteinte.

Après une première fouille, les inspecteurs sont revenus dans cette chambre, alors que Pinches, les pensant partis, avait ouvert la fenêtre pour réintégrer l’appartement. Un inspecteur le vit, il fut de nouveau arrêté et menotté devant toute sa famille, femme et enfants.

Il fit un premier séjour à la prison de Fresnes, puis aux Tourelles et fut transféré le 11 février 1942 à Pithiviers, puis à Compiègne d’où le convoi n°2 partit pour Auschwitz le 5 juin 1942.

Serge Klarsfeld rappelle que sur “les 1000 hommes entrés, le 7 juin, au camp d’Auschwitz, il n’en restait vivants que 217 le 15 août 1942. La mortalité avait atteint 78,3% en dix semaines”.

À la connaissance de Klarsfeld, “il ne restait que 32 survivants à la libération des camps en 1945”. Notre père a été découvert par les Américains au camp d’extermination de Bergen-Belsen, au milieu des morts, il était malade du typhus et fut sauvé in extremis. À notre connaissance, il a séjourné le plus longtemps à Auschwitz, puis à Mauthausen et en dernier lieu, après avoir fait la “longue marche”, à Bergen-Belsen.

Il est arrivé à l’Hôtel Lutétia à Paris, en mai 1945, dans un état physique épouvantable. Ce sont deux de ses camarades qui l’ont ramené à la maison.

Durant toutes ces années, notre père dut sa survie au fait qu’il s’improvisa, à la demande des SS, comme spécialiste des culottes de cheval et de la confection de soutiens-gorge pour les femmes des SS. Il en profita pour partager avec ses camarades le peu de nourriture supplémentaire dont il pouvait bénéficier grâce à ce travail.

Après la libération, les camarades de notre père témoignèrent tous de la solidarité dont notre père avait fait preuve et du fait qu’il leur avait ainsi sauvé la vie.

Après son retour, notre père et ses camarades les plus proches n’ont pas gardé le silence. Lorsqu’ils se rencontraient, ils évoquaient, en notre présence, certains épisodes de leur vie au camp. Un récit est resté gravé dans notre mémoire : devant l’arrivée et la destruction de familles entières, notre père s’inquiétait de la déportation de sa propre famille et il lui arrivait de se tourner vers la fumée du four crématoire en se demandant si sa femme et ses enfants n’avaient pas subi le même sort. Poursuivi par cette peur, il a cru reconnaître Pesa (Paulette) en voyant une petite fille blonde, il a tenté de sauver l’enfant alors qu’un S.S. lui ordonnait de la jeter dans une fosse. Notre père n’avait pu exécuter cet ordre, il reçut immédiatement un coup de crosse sur la tête qui le blessa grièvement. Grâce à ses camarades qui le cachèrent le temps qu’il puisse récupérer, il réussit à s’en sortir. Ce qui permit la survie de certains déportés, ce fut leur grande solidarité.

Notre père sauva également la vie d’une femme destinée au four crématoire qu’il fit passer pour sa femme. Cette femme était belge et vint le voir après la guerre pour le remercier.

Pendant le temps de la déportation de notre père, sa femme et ses enfants étaient restés à Paris, cachés au 50 rue Vitruve et bénéficiant de la complicité du voisinage, du concierge et d’un inspecteur de police. Toute nouvelle rencontre pouvait être une question de vie ou de mort ! Ainsi, Pesa fut confrontée à une descente de police alors qu’elle travaillait dans une fabrique de boutons, elle dut se présenter devant l’inspecteur, mais ce dernier lui fit savoir qu’il se tairait si ses patrons et les autres ouvriers ne disaient rien ! Par la suite, cet homme fit le nécessaire pour nous avertir, chaque fois que des rafles se préparaient, afin que nous nous cachions ailleurs.

Après la libération, nos parents gardèrent pendant un temps le contact avec l’inspecteur Perrot, peut-être aurait-il mérité d’être cité parmi les Justes, mais à ce jour, nous ne savons pas ce qu’il est devenu.

Revenu meurtri et malade de déportation, notre père ne manquait pas de courage. Par chance, il avait retrouvé sa femme et avait maintenant de grands enfants. En ce temps de reconstruction, le travail ne manquait pas, il mit tout ce monde à la tâche et reconstitua “l’atelier”. Les vitsns, les chansons en yiddish, créaient une ambiance juive. Mon père recevait ses camarades, ils parlaient en yiddish de ce qu’ils avaient vécu et souffert dans les camps. Ce qui nous permit de maintenir cette langue au sein de la famille.

Notre père s’installa comme confectionneur pour dames, aidé par ses enfants, il gagna correctement sa vie, il maria ses cinq enfants et en éprouva beaucoup de satisfaction.

Il ne réussit jamais à récupérer sur le plan de la santé, ne s’étant jamais remis de la déportation. Nous avons connu un homme malade qui ne correspondait plus à celui que la famille avait connu avant-guerre. Il manifestait de l’irritation pour un rien, d’une humeur variable en fonction de son état de santé physique, il présentait des périodes de fatigue et d’épuisement. Son plaisir à plaisanter s’était nettement estompé, mais il continuait à travailler.

Selon le témoignage de Pesa, suite aux souffrances qu’il avait endurées en déportation, il se montra alors plus humain et plus compréhensif à l’égard de ses proches.

Il a cessé toute activité en 1963.

À la suite de troubles coronariens et cardio-vasculaires, son état de santé se dégrada particulièrement à partir de 1965, il connut plusieurs hospitalisations et mourut le 30 juin 1972 dans sa soixante-huitième année.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

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PINCHES-MOSZEK SZABMACHER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Ne rentre pas au camp à l’expiration de sa permission le 18 août 1941
Arrêté, puis interné au camp de Pithiviers à partir du 11 février 1942
Déporté par le convoi n°2 à Auschwitz le 5 juin 1942 
Décédé le 30 juin 1972 à l’âge de 67 ans

ROBERT SAMACHER
Fils de Pinches-Moszek Szabmacher
le 19 janvier 1940 à Paris 13e

PESA (PAULETTE) KATZ
Fille de Pinches-Moszek Szabmacher
Née le 20 janvier 1928 à Varsovie

CHANA (ANNA) SCHWARTZ
Fille de Pinches-Moszek Szabmacher
Née le 25 juin 1926 à Varsovie