Au camp de Pithiviers, Symcha-Binem (Bernard) Wajngart est le 3e debout à partir de la gauche (hiver 1941-1942). Archives familiales

Symcha-Binem (Bernard) WAJNGART
par sa sœur Rose Zilberg

Je suis née à Paris 18e, le 2 mai 1929. Mon père s’appelait Elie Szmuel Wajngart, ma mère était née Elka Gryc. Ils étaient originaires d’une petite ville des environs de Varsovie : Grodzisk-Mazowieski.  

Mon grand-père paternel était très religieux. Marié en premières noces “oif Heibigekeiss”, c’est-à-dire entretenu par ses beaux-parents toute sa vie pour pouvoir étudier. Après sept ans de mariage, n’ayant pas eu d’enfants, il divorça et se remaria avec une veuve avec enfants qui tenait une boulangerie et avec laquelle il eut cinq enfants.

Mon grand-père maternel tenait une épicerie en gros. Il traitait des affaires avec les propriétaires fonciers, comtes, etc.

Mon père, enfant, allait au heder. Ma mère allait à l’école chez une institutrice juive qu’il fallait payer. Cela se passait avant la Première Guerre mondiale. Cette école était fermée le samedi « shabbat » et ouverte le dimanche, aussi les études étaient faites en russe, en yiddish et le dimanche, on apprenait le polonais car il n’y avait pas d’inspection.

Mon père a appris le métier d’horloger, ma mère avec deux de ses sœurs, tenait une petite boutique de bonneterie.

Ma mère racontait que lorsque le tsar est passé par leur ville, on a donné vingt-quatre heures à tous les Juifs pour quitter la ville. Elle racontait aussi que, petite fille, elle livrait au grand-père de Marek Halter, qui était imprimeur à Grodszik, ses commandes. Aussi, quand Marek Halter et ses parents sont arrivés à Paris, mon père qui était alors Président de la Société des originaires de Grodzesk-Mazowieski, a été avec eux voir Daniel Mayer et leur a fait obtenir des papiers pour rester en France. Je me rappelle que, lorsque le dimanche, il nous arrivait d’aller à Brunoy, mes parents rendaient toujours visite à ses parents. Sa mère était une poétesse.

Mes parents étaient bundistes. Ma mère ayant été à l’école, ce qui était très rare à cette époque pour les filles, était responsable de la bibliothèque. Ils se sont mariés en 1922, date de leur mariage civil. Mon frère aîné est né le 2 juin 1922 et a été prénommé Symcha Binem ; nous l’appelions Bernard.

Mes parents ont quitté la Pologne fin 1923 et sont arrivés à Paris, début 1924. Je les ai toujours entendus dire que le voyage avait duré huit jours, que c’était l’inflation en Allemagne et qu’ils changeaient l’argent deux fois par jour.

Pourquoi ont-ils quitté la Pologne ? Mon père avait un frère qui avait déjà émigré à Paris et qui était très content de sa situation. Il était tricoteur et avait conseillé à mon père de s’intéresser à ce métier. Sa femme et ses deux filles accompagnaient mes parents durant ce voyage.

En quittant la Pologne, ma mère était enceinte ; mon deuxième frère Gershon est né le 12 avril 1924 à Paris : on l’appelait Georges. À leur arrivée en France, pendant quelques mois, mon père a travaillé dans le tricot, puis il a repris son métier d’horloger. En 1926, il était à son compte et inscrit au Registre du Commerce. Le 4 février 1929 est né à Paris 19e mon jeune frère Léon.

Les adresses dont je me souviens sont : le 20 rue Charlot, et le 112 rue de Turenne, Paris 3e.

Mes frères sont allés à l’école de garçons, rue des Quatre-Fils. Mon frère Bernard était très brillant ; il avait un an d’avance, mais le directeur lui a fait redoubler la classe du certificat d’études car il pensait qu’il serait reçu le premier de l’arrondissement… Mes parents qui n’étaient pas très au courant l’ont écouté, ce qui a été dommage car il aurait pu entrer au lycée à 11 ans, et non à 12.

Fin mai 1940, Bernard reçoit une convocation de l’Ambassade de Pologne pour rejoindre l’armée polonaise au Centre de Coëtquidan (Bretagne). Avec l’avance allemande, l’armée polonaise quitta Coëtquidan à pied pour rejoindre Saint-Nazaire afin de s’embarquer pour l’Angleterre. Malheureusement, ils ont été rattrapés par l’armée allemande ; c’est alors la débandade et mon frère rentre à Paris. La Pologne n’existait plus. Il n’est pas démobilisé et n’a donc plus de papiers.

En mai 1941, il reçoit le “billet vert”, convocation au commissariat, rue de Bretagne (Paris 3e) pour vérification de papiers. J’ai oublié comment cela s’est passé, à savoir s’il était accompagné par notre père.

Ce dont je me souviens, c’est que, arrivée à l’école, au cours complémentaire commercial, rue Debeylleme, (mon père voulait que je sois comptable pour l’aider dans son entreprise, il était fabricant de montres), je pleurais. Ma meilleure amie me demanda pourquoi. Je lui répondis que l’on avait arrêté mon frère et sa réponse fut : “on a bien nos prisonniers !”. C’est à cette époque que j’ai commencé à me taire. Je me souviens d’un poème de Victor Hugo appris à ce moment :“Braves gens, prenez garde aux choses que vous dites, tout peut sortir d’un mot qu’en passant, vous dites…/… la haine et le deuil et ne m’objectez pas que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas”.

Mes parents ont été à plusieurs reprises à Pithiviers. Ils lui apportaient des colis et même son violon… Mon frère Bernard est venu en permission pour passer son bac math élémentaire. Mon père avait une voiture pour le faire passer en “zone libre”. Il a refusé. S’il ne rentrait pas au camp, des pères de famille n’auraient plus de permissions. Mais lorsqu’il est rentré au camp, les permissions étaient terminées. Que n’a-t-il écouté notre père ? Il est parti avec le convoi 4.

Quant à mon frère Georges, en 1942, il a lui aussi été convoqué au Commissariat de Police. Mon père lui a remis de l’argent afin de passer en zone libre. Il s’est fait prendre sur la ligne de démarcation, à côté de Dax et interné dans le camp de Mérignac (Gironde). Des rescapés ont raconté à mon père qu’il n’avait pas pris de passeur, ce qui explique son arrestation. Il a été déporté par le convoi 7, le 19 juillet 1942, de Drancy.

Il m’est difficile de terminer cette contribution sans parler d’une information très douloureuse, à savoir que des rescapés ont dit à mon père que mon frère Bernard, mon modèle, aurait été choisi pour servir de cobaye aux “médecins” nazis.

Aussi, je ne peux m’empêcher de penser que s’ils avaient écouté mon père, ils seraient restés parmi nous.

 

Témoignage recueilli en 2011

 

Revenir en haut

SYMCHA-BINEM (BERNARD) WAJNGART
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 3 août 1942 à l’âge de 20 ans

ROSE ZILBERG
Sœur de Symcha-Binem (Bernard) Wajngart
Née le 2 mai 1929 à Paris 18e