Jules Geller (au centre) au camp de Pithiviers en janvier 1942. Archives familiales

Jules-Yoel GELLER, mon frère et Max GELLER, mon oncle
par Judith Markus

Mon père Leo-Arie Geller est né à Rojzniatov (Pologne, Galicie, aujourd’hui l’Ukraine) en 1890. Son père, Yoel Kopf, est décédé très jeune, laissant sa femme Bertha Geller avec six enfants, dont le dernier, Max, un bébé de quelques mois. Avec ses six enfants, elle rejoint sa sœur mariée en Allemagne, à Gelsenkirchen.

Ma grand-mère Bertha, très religieuse, était une femme énergique, courageuse et travailleuse. N’étant mariée que religieusement, ce qui n’était pas reconnu en Allemagne, elle fit enregistrer ses enfants sous son propre nom de famille “Geller”.

Très vite, elle organise sa vie et trouve un emploi pour ses deux fils Bernard et Leo qui sont devenus mireurs d’œufs. Elle-même se met à faire du porte-à-porte en vendant différents articles. L’aînée de ses deux filles, Tzira, devait s’occuper de ses deux plus jeunes sœurs, Lina et Frida et surtout du bébé.

Mobilisé dans l’armée allemande en 1915, mon père n’a pas combattu longtemps. Il fut envoyé en Sibérie comme prisonnier, où il resta près de deux ans. Malade, il en a gardé des séquelles toute sa vie.

Grâce à sa connaissance du russe, il a pu s’évader. Les soirs d’hiver, assis autour du feu, mon père nous racontait combien la vie avait été difficile et combien les paysans russes étaient bons et serviables et l’avaient toujours aidé à se cacher, en lui indiquant les chemins à prendre pour ne pas être arrêté. Avant la fin de la guerre, il arrive enfin à Gelsenkirchen. À son retour, il s’installe tout de suite avec ses beaux-frères et ouvre une fonderie.

Invité au mariage d’un de ses cousins, il eut le coup de foudre pour une très belle jeune fille. Le lendemain, il alla trouver un marieur pour obtenir l’autorisation de la revoir. Melle Hanny (Hanna) Handgriff, née le 1 mars 1900 à Tarnow, était la fille aînée de Gershon et Hava Handgriff, habitant à Oberhausen. Le mariage eut lieu à Gelsenkirchen le 23 décembre 1919. Ce fut un couple très heureux.

Le 27 novembre 1920 naît leur premier enfant, Yoel-Jules, puis en 1922, une fille, décédée quelques mois plus tard d’une rougeole mal soignée.

Ce malheur, l’état général de la situation économique à l’époque en Allemagne, le chômage et la dévaluation catastrophique du mark, ainsi qu’un antisémitisme croissant et les brimades qui sévissaient ont effrayé mes parents, et mon père s’est retiré de la fonderie. Désireux de s’installer en Palestine, il se rendit à Trieste afin d’étudier les conditions d’un éventuel départ. Là, il reçut de son frère une missive disant que sa mère était tombée malade et qu’il lui fallait revenir. Ce qu’il fit. Quand sa mère fut rétablie, il décida de quitter l’Allemagne, mais, cette fois, avec sa femme et son enfant.

Ils partirent en France et s’installèrent à Metz, en Moselle où je naquis le 23 avril 1925. Étant donné qu’en Moselle, on parlait l’allemand, on considéra que cela faciliterait l’adaptation. Là, mon père monta une affaire de transformation de vieux vêtements militaires qui plus tard étaient découpés et préparés pour en faire des disques à polir. L’affaire n’ayant pas réussi, mon père décida de s’installer à Paris. Nous avons habité aux Lilas où est né mon frère Marcel, le 17 juin 1930, dans la joie générale. Nous étions une petite famille soudée, avec des parents adorables, qui s’entendaient bien et qui nous ont donné beaucoup d’amour. Nous avons eu une vie très heureuse.

Tout a changé dans notre vie de famille en 1933 avec l’arrivée d’Hitler. Une partie de la famille paternelle quitta l’Allemagne à temps. Ma grand-mère vécut chez nous jusqu’à son décès en 1937. Mes oncles et leurs familles sont partis en Argentine, excepté le plus jeune frère Max qui reste à Paris avec sa femme et son fils Jules.

Tous les autres membres de la famille du côté paternel, restés en Allemagne, furent arrêtés et sont morts dans les camps. Le père de ma mère a été arrêté et interné quelques mois à Dachau, puis relâché, car de nationalité allemande. En 1944, lui et sa famille ont été déportés et sont morts dans un camp, ainsi que toutes les sœurs et la famille de ma mère.

Mon frère Yoel, l’aîné de cinq ans, était l’ami à qui je pouvais me confier et raconter tous mes problèmes. Il avait toujours le temps pour moi, mais également pour mon plus jeune frère Marcel. Il nous conseillait pour nos lectures et surveillait toujours nos devoirs. Il nous a manqué pendant la guerre et durant toutes ces années où nous avons grandi sans lui. Il était très studieux. C’était un fils et un frère très dévoué.

Tout jeune, il accompagnait ma mère pour lui servir d’interprète pour ses démarches ou achats car elle avait encore des difficultés en français. Il avait suivi des cours à l’école d’électricité. Il était très adroit de ses mains.

Il a été l’un des fondateurs du Hanoar Hatzioni, un mouvement scout sioniste. J’ai été, moi aussi, au Mouvement. Nous étions nombreux et heureux ensemble.

Malheureusement, la guerre nous a tous séparés. Yoel a été arrêté le 14 mai 1941 et interné à Pithiviers. Dès 1941, je me suis engagée dans les FTP, puis j’ai rejoint les résistants sionistes de l’O.J.C et de l’AJ, de 1943 à la Libération de Paris. J’ai beaucoup voyagé avec des faux papiers, au nom de Jacqueline Gauthier, pour visiter des mairies dans la région du Mans – Laval – Château-Gontier et bien d’autres encore pour obtenir des cartes d’identité vierges, des certificats de naissance, de baptême et des tampons pour fabriquer des fausses cartes d’alimentation. Elles ont bien servi ! Les employés de mairies nous ont beaucoup aidés. Mais, à mon grand regret, je n’ai pas pu venir en aide à mon frère qui n’était plus en France à cette époque. J’ai continué mon travail dans la résistance jusqu’à la Libération.

Je suis allée très souvent à Pithiviers et j’ai eu le plaisir de le rencontrer quand il accompagnait des malades, en sa qualité d’infirmier, à l’hôpital de la ville. Une fois, j’ai espéré qu’il partirait avec moi, mais en vain. Il craignait de nuire à son oncle et à son cousin, Jacques Winter, qui étaient au camp.

Yoel était très actif, il faisait du théâtre, apprenait l’Esperanto, le yiddish. Il nous écrivait beaucoup. J’ai conservé toutes ses lettres et surtout la dernière qu’il a pu jeter du train qui l'a emporté à Auschwitz. Il a quitté Pithiviers le 25 juin 1942.

Là-bas aussi, il a servi d’infirmier et a soigné les malades, jusqu’au jour où lui-même a attrapé le typhus et a été gazé. Jamais je ne l’oublierai.

 

Témoignage recueilli en 2010

 

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JULES-YOEL GELLER
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 13 août 1942 à l’âge de 21 ans

MAX GELLER
Interné au camp de Pithiviers le 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 24 juillet 1942 à l’âge de 42 ans

JUDITH MARKUS
Sœur de Jules-Yoel Geller et nièce de Max Geller
Née le 23 avril 1925 à Metz