Ichok Grinhaus (5 janvier 1934, sl). Archives familiales

Ichok GRINHAUS
par sa fille Monique Charbonnel

Mon père, Ichok Grinhaus, était l’un des 999 hommes du convoi 4. Il n’est pas revenu. À Pithiviers, il portait le matricule 524 et logeait dans la baraque 12. Lorsqu’il a été arrêté, le 14 mai 1941, je n’avais pas quatre ans (je suis née le 30 juillet 1937), je n’ai donc pratiquement aucun souvenir si ce n’est d’être allée une fois, avec ma mère, lui rendre visite au camp. Il me semble revoir mes parents assis sur le bord d’un châlit et moi, jouant à l’extérieur près d’un banc accolé à la baraque. Le reste, c’est le peu que j’ai retenu des récits fragmentaires de ma mère au cours des années : une permission accordée pour assister au mariage d’un ami, occasion facile de ne pas rentrer au camp, mais mon père, très légaliste, n’en a pas profité, mon père répétant : “de toutes façons, on est chez les Français, il ne peut rien nous arriver” ; ma mère courant “comme une folle”, ce sont ses paroles, derrière le train qui emporte les internés.

Je possède une photo de Pithiviers, le 8 janvier 1942 (la date figure au dos), elle représente un groupe de 23 hommes devant un baraquement. Mon père est assis au premier rang, il est le seul à porter des lunettes, ainsi que des gants et une canadienne. J’ai également un porte-plume envoyé en 1942, à ma mère pour son anniversaire le 26 avril, le classique certificat “Chez les hébergés” illustré par Arthur Weisz et, de ce même Arthur Weisz, un beau portrait de mon père, un pastel, portant la mention Pithiviers 42. Là s’arrête la liste de ce que j’ai. Celle de ce que je n’ai pas serait infiniment plus longue, les questions que je n’ai pas posées à ma mère, toutes les choses que j’aurais tant voulu savoir sur mon père et que je ne saurai jamais.

De son passé, jusqu’en 1941, je connais très peu de choses. Les mentions qui figurent sur le livret de famille de mes parents que j’ai la chance de posséder : Icchok Grinhaus, né à Varsovie, le 26 mars 1906, fils de Jankiel, et de Golda Kacenelenbogen, avait trois frères, dont j’ignore les prénoms, et une sœur, Danka. De tous j’ai des photos, mais je ne sais rien si ce n’est que Danka s’est mariée en février 1939 (photo datée). La dernière adresse de mon père à Varsovie, rue Bonifrateska, figure au verso d’une photo, certifiée par le gérant de l’immeuble le 16/12/1929.

Mon père est arrivé à Paris le premier janvier 1930, a retrouvé ma mère venue l’année précédente, et ils se sont mariés religieusement peu après (j’ai la Ketuba, mais la date est illisible.) En France, mon père a d’abord travaillé comme “directeur commercial” pour le frère de ma mère, fourreur ; mon père était tricoteur et en janvier 1938, il s’est inscrit au registre du commerce comme fabricant de tricots, associé à un monsieur Janzier, dans un local 56 rue des Archives où il a travaillé jusqu’en janvier 1941 (j’ai en ma possession un petit carnet avec la comptabilité de l’entreprise). En septembre 1932, mes parents ont eu un fils, Marcel, décédé en mars 1933. Le 24 février 1934, ils se sont mariés civilement.

D’après les récits de ma mère et les photos, mes parents ont vécu heureux en France jusqu’à la guerre. Ils habitaient un petit logement de deux pièces donnant sur la cour (wc et eau courante sur le palier un demi-étage plus haut), au 81 faubourg Saint-Martin, logement où ma mère a habité jusqu’en 1949. Ils avaient de nombreux amis, sortaient en famille ou en groupe, sont même partis plusieurs fois en vacances. (Tout cela attesté par des photos.)

De mon père je sais aussi qu’il était blond, avait les yeux bleus ; sur la fiche de Pithiviers, je lis qu’il mesurait 1,69m et qu’il avait une dent en or.

De son caractère, j’ignore tout. J’aime à croire ce qu’en disait ma mère : gentil, intelligent, grand et beau, un mari parfait. De ses parents aussi j’ignore tout : étaient-ils originaires de Varsovie ou d’ailleurs ? De quoi vivaient-ils ? Que faisaient la sœur et les frères ? L’aîné seul a survécu et s’est installé en Israël, quand ? Son prénom ? J’ai appris en 2009, au Musée de l’Holocauste de Washington, qu’il s’appelait Aron et était né le 7 février 1904. A-t-il des enfants ? Je n’ai pas réussi à retrouver sa trace.

Même le prénom de mon père est pour moi une incertitude. Quand mes petits-enfants m’interrogent, j’hésite toujours avant de répondre : Iccok, (avec les variantes orthographiques : Ichok, Icchok, Iccek), ou Itche, Isaac, et même Jacques en France, tout cela, je l’ai lu. Mes cousins, qui l’ont connu, ne sont pas d’accord entre eux. Quant à ma mère, lorsqu’elle parlait de lui avec moi, elle disait “papaet avec d’autres, “mon mari”, je ne l’ai jamais entendu prononcer son prénom.

À Auschwitz où il portait le matricule 42082, mon père est mort le 12 août 1942. Ma dernière interrogation à son sujet, celle qui me pèse le plus, qui me tourmente régulièrement concerne précisément sa mort. Je crois me souvenir avoir un jour entendu ma mère dire qu’il s’était jeté sur les barbelés, mais je ne sais pas si c’est vraiment un souvenir ou une fin qui m’est moins douloureuse à imaginer. Je sais qu’un ancien ami de ma mère, un rescapé, a été témoin de sa mort, mais ce monsieur a disparu depuis longtemps, et même si j’avais pu l’interroger, très probablement ne m’aurait-il pas répondu.

Tout cela ne fait pas un témoignage, ni sur Pithiviers ni sur le convoi 4 ni même sur mon père. Tout juste un témoignage de mon ignorance et de mes interrogations.

Monique Charbonnel, le 19 novembre 2008.

 

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ICHOK GRINHAUS
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 12 août 1942 à l’âge de 36 ans

MONIQUE CHARBONNEL
Fille d’Ichok Grinhaus
Née le 30 juillet 1937 à Paris 11e