Jankiel Hochberg au camp de Beaune-la-Rolande (1941, sd). Archives familiales

Jankiel HOCHBERG
par son fils Henri-Charles Hochberg

Mes parents se sont rencontrés à Paris à un bal juif et se sont mariés en 1936. Ils venaient de familles immigrées de Pologne, déjà installées à Paris dans les années vingt. Mon père Jankiel est né à Varsovie en 1908 et ma mère Louise à Paris, dans une famille traditionnelle où l’on parlait yiddish. Mes grands-parents maternels allumaient les bougies pour le Shabbat, tradition qu’ils abandonnèrent après la guerre. Ils ne se déplaçaient plus à la synagogue que pour Kippour.

Je suis né en décembre 1937, ma sœur Suzanne en septembre 1939 et mon frère André en août 1941, quand mon père était déjà interné à Beaune-la-Rolande.

Mon grand-père paternel, maroquinier, avait installé son atelier rue Camille Desmoulins à Paris et forma mon père à ce métier. Il y réussit très bien, il dessinait et réalisait lui-même des sacs de dame en croco, lézard, et box qu’il vendait aux Galeries Lafayette et dans les maroquineries de luxe des Grands Boulevards. Il gagnait très confortablement sa vie et habitait passage Brady. Son atelier était dans l’appartement et il cherchait, pour s’agrandir, à déménager boulevard de Strasbourg. Mes parents recevaient beaucoup d’amis, l’appartement ne désemplissait pas. Parmi eux, certains étaient en partance pour l’Amérique.

Mon père, très amateur de peinture, échangeait des tableaux contre des sacs de sa fabrication, et certains de ces tableaux furent exposés au Salon d’Automne à Paris et photographiés dans la revue Arts. Il se constitua une jolie collection de tableaux de l’époque.

J’avais 3 ans et demi lorsque mon père répondit à la convocation du “billet vert” en mai 1941, en même temps qu’un ami qui habitait aussi l’immeuble, Julius Ladenheim, d’origine autrichienne, dont la femme était aussi enceinte.

Mon père a été arrêté et interné à Beaune-la-Rolande, et ma mère, enceinte d’André, allait le voir régulièrement. Elle lui envoyait des colis et ils s’écrivaient des lettres censurées, bien sûr, que nous gardons et conservons précieusement.

J’ai le souvenir d’être allé le visiter en plein été et, d’après ma mère, de m’être plaint en yiddish de la chaleur de l’herbe sur mes jambes. Je me souviens aussi des internés, alignés devant leurs baraquements, attendant le signal des gendarmes français leur permettant de venir nous rejoindre près d’un grillage, peut-être la limite du camp. Lorsque ma mère accoucha d’André, elle le lui emmena et, en le voyant, mon père le dévêtit entièrement pour vérifier qu’il était normal, malgré tant d’épreuves subies par ma mère.

Lors de ses voyages à Beaune-la-Rolande, ma mère avait souvent une lourde valise pour mon père et il arrivait parfois qu’un gendarme la raccompagne à la gare. Elle avait toujours de l’argent sur elle et encourageait mon père à s’évader. Hélas, la famille de mon père lui rappelait qu’il avait trois enfants et qu’il devait attendre la fin de la guerre sans bouger. Il hésitait beaucoup. Il fut déporté par le convoi 5 du 28 juin1942 vers Auschwitz. Dans sa lettre à sa sœur Rose, datée du 25 juin 1942, il écrivait que l’on revient toujours de n’importe où…

Puis sa famille, parents et sœurs, furent raflés et déportés via Drancy : Lejko, son père, par le convoi 12, et Doba, sa mère, Rose et Mathilde, ses sœurs, par le convoi 47, destination Auschwitz dont aucun ne revint.

À l’époque, la Colonie Scolaire de la rue Amelot à Paris se chargeait de cacher en province les enfants des déportés du camp sans dévoiler leurs origines et c’est ainsi qu’avec ma sœur Suzanne, nous fûmes placés dans une famille rurale d’un village d’Eure-et-Loir : Miermaigne, jusqu’en 1945. Nous avons été très bien traités par cette famille d’accueil ; ce couple était jeune et avait une fille Michèle de notre âge, avec qui nous sommes toujours en contact. Ils ignoraient nos origines (bien que nous ayons gardé nos vraies identités) et ils ont été surpris de les apprendre par notre mère venue nous rechercher pour nous ramener à Paris.

La maison qui nous abritait faisait face à la mairie qui était occupée par les Allemands.

Nous avons revu cette famille avant leur disparition, et ils ne souvenaient pas qui payait notre pension qu’ils recevaient régulièrement, disaient-ils.

Ma mère avait gardé mon frère avec elle, le nourrissant au sein le plus longtemps possible.

À Paris, très souvent, je suis allé avec ma mère derrière les grilles de la gare de l’Est voir arriver les trains de prisonniers et de déportés, en vain bien sûr. Ma mère espéra jusqu’en 1950 environ, car des prisonniers revenaient encore de Russie, disait-elle. Elle est morte en 1974, à 58 ans, épuisée de tant de souffrances et de privations.

Toutes ces douleurs, ces privations, ces épreuves eurent raison de sa santé, bien qu’ayant toujours été persuadée être sortie vivante de la guerre ainsi que sa famille, Brzezinski, protégée par la nationalité française, alors que les Hochberg étaient Polonais.

Sans ressources, elle nous confia tous les trois à la Colonie Scolaire et je me souviens très bien le 2 avril 1946 avoir quitté en rangs la rue Amelot avec chacun un balluchon blanc sur l’épaule vers la gare de la Bastille. Nous étions un groupe de 14 enfants, j’avais 8 ans 1/2, ma sœur six ans 1/2. Mon frère, quatre ans 1/2, était le plus jeune du groupe. Un train à vapeur nous emmena à la Varenne-Saint-Hilaire, Avenue Marceau dans une villa, puis ensuite rue Chanzy et rue Saint-Louis.

Rétablie tant bien que mal, ma mère nous récupéra progressivement à partir de 1951 pour nous ramener vivre avec elle ; moi le premier, au bout de cinq ans, car j’avais une mauvaise santé ; puis plus tard, elle reprit ma sœur et mon frère. Veuve à 25 ans avec trois enfants, malade, sans métier et sans ressources, elle ne s’était pas remariée, pour nous, disait-elle. Nous habitions toujours dans ce même petit logement qui avait servi d’atelier à son mari et il lui a fallu des années avant qu’elle puisse obtenir un emploi réservé dans l’Administration, qui soulagea un peu son calvaire.

Aujourd’hui, nous sommes mariés tous les trois, nous avons des enfants et des petits-enfants.

Actuellement, beaucoup de gens se disent “ennuyés” par le récit de faits datant de plus de 70 ans, mais pour nous, rescapés, ce n’est pas encore de l’Histoire. Ce sont bien nos vies qui ont été saccagées et massacrées.

Impossible d’oublier !

 

Témoignage recueilli en 2008

 

 

Revenir en haut

JANKIEL HOCHBERG
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz

HENRI-CHARLES HOCHBERG
Fils de Jankiel Hochberg
en décembre 1937