Extrait d’un registre d’internés de Pithiviers (13-21 juillet 1942). Archives départementales du Loiret – 20 M 789

Ludwig LACKENBACHER
par Alexandre Seurat

J’ai longtemps ignoré le poids insoutenable du passé sur ma famille : je voyais avec effroi et incompréhension mon frère se débattre avec sa haine irrépressible des antisémites. Après sa mort, quand un oncle m’a révélé ce qui nous avait toujours été caché, le passé m’est revenu comme une gifle : mon arrière-grand-père avait participé à l’action du Commissariat aux Questions Juives.

En faisant une recherche approfondie aux Archives, j’ai appris que cet ancêtre, dont j’avais à peine entendu parler jusque-là, avait été pendant la guerre “administrateur provisoire” de biens appartenant à des familles juives. Dans ses courriers tatillons envoyés au Commissariat aux Questions Juives pour rendre compte de son action, et où régulièrement il réclame instamment une augmentation de sa rémunération, je découvrais un homme odieux. Protestant à plusieurs reprises de son souci de gérer ces affaires “en bon père de famille", il manifeste une bonne conscience inébranlable à “éliminer les éléments juifs”, selon ses propres mots. Les plaintes et les témoignages reçus par la Commission de restitution révèlent qu’il harcelait ses victimes, leur soutirait de grosses sommes et expédiait les ventes. Selon divers témoins, il avait menacé une femme dont il avait en charge le bien de “la faire interner au camp de Drancy si elle pénétrait dans son entreprise”.

Ludwig Lackenbacher était né en Autriche en 1904. Je ne sais pas quand il était arrivé en France. Il exploitait un fonds de commerce “de bijouterie de fantaisie” dans l’appartement qu’il occupait avec sa femme et ses deux jeunes enfants, boulevard Beaumarchais. À la déclaration de guerre, il s’engagea dans la Légion Étrangère et combattit en Algérie. Démobilisé, il rentre à Paris en décembre 1940. À l’été 1941, Raoul Hannoyer devient l’administrateur provisoire de son fonds de commerce. Dans ses courriers, mon arrière-grand-père se plaint du peu de collaboration de M. Lackenbacher pour trouver un acquéreur. S’il le laisse d’abord travailler et vivre dans son appartement, l’étau se resserre en juin 1942 : il met “la totalité de ses marchandises encore invendues et ses approvisionnements”à l’abri” dans une autre entreprise dont il est l’administrateur provisoire. M. Lackenbacher refuse de venir assister à "l’inventaire" organisé. Dans l’acte de vente de novembre 1942, le fonds de commerce de “bijouterie de fantaisie” est devenu un fonds de commerce de “bijoux en faux”, que les acquéreurs revendront peu de temps après quatre fois plus cher.

Raoul Hannoyer signale incidemment, dans un courrier de décembre, que M. Lackenbacher a quitté son appartement “dans le courant de juillet” “et n’a pas laissé d’adresse”. Ludwig Lackenbacher figure dans la liste du convoi 6, comme venant de Dijon. D’après le Mémorial de la Déportation, il avait été arrêté sur la ligne de démarcation. Je ne sais pas où était sa famille. Il est déporté de Pithiviers le 17 juillet au matin et meurt à Auschwitz, de “pneumonie” selon les archives nazies, le 26 août 1942.

Outre de multiples prélèvements effectués par Raoul Hannoyer, la plainte de Madame Lackenbacher auprès du Contrôleur des administrateurs en 1947 fait état d’une somme de plus de 50 000 francs payée par son mari à Raoul Hannoyer le 7 juillet 1942, sans doute juste avant sa tentative d’échapper à l’étau nazi.

Raoul Hannoyer n’a jamais comparu devant une autre instance que le Contrôleur des administrateurs. Indifférent aux conséquences de ses actes, sûr de son bon droit, il n’a jamais été contraint par la Justice à répondre de sa participation active à la politique antisémite de Vichy.

 

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LUDWIG LACKENBACHER
Interné au camp de Pithiviers le 16 juillet 1942
Déporté à Auschwitz le 17 juillet 1942 par le convoi 6
Assassiné à Auschwitz le 26 août 1942 à l’âge de 38 ans

ALEXANDRE SEURAT
Arrière-petit-fils de l’administrateur provisoire des biens de Ludwig Lackenbacher