Au camp de Beaune-la-Rolande. Bernard (Bencjan) Wajsman est debout, au milieu de la 2e rangée (13 décembre 1941). Archives familiales

Bernard (Bencjan) WAJSMAN
par sa femme Esther Vainberg

Bernard est né en 1911. Il était originaire de Bialdobgez en Pologne. Ses parents sont morts lors d’une épidémie de typhus et il a été élevé par sa sœur aînée.

Il est devenu tailleur, comme beaucoup de jeunes Juifs en Pologne.

Grâce à l’aide de sa sœur aînée, il est venu très jeune en France, où il s’est bien adapté. Il travaillait dur dans des ateliers de confection ; il était doué et était particulièrement apprécié par l’un de ses employeurs qui l’a aidé à s’installer à son compte à Paris en juin 1937.

C’est aussi l’année où nous nous sommes rencontrés grâce à des amis communs et où nous nous sommes mariés. Nous avons pris un appartement dans le 3e arrondissement, où Bernard avait son atelier et nous avons été heureux : le travail marchait bien, et, de mon côté, j’avais un petit magasin où je présentais et vendais le travail de Bernard.

Mais il y avait des rumeurs de guerre. Bernard pensait qu’il était important de montrer son attachement à sa patrie d’adoption. Il n’était pas français, il s’est donc engagé dans un régiment de Volontaires étrangers.

En 1940, notre fils est né. Notre joie fut obscurcie par la présence de la guerre.

Quinze jours seulement après la naissance de Guy, Bernard reçut l’ordre de se présenter pour accomplir son devoir militaire. Le 11 mai 1940, il fut incorporé au groupe d’instruction des bataillons de pionniers des Volontaires étrangers de Septfonds. Il y est resté jusqu’à l’armistice, date à laquelle il a été démobilisé.

Après son retour, nous avons repris une vie presque normale, si l’on peut dire, compte tenu de la situation des Juifs à cette époque, jusqu’à ce jour de mai 1941 où des policiers français sont venus le chercher à la maison, malgré son engagement, puis son incorporation dans l’armée française.

Ils se sont présentés avec une convocation pour le commissariat et ont refusé que je l’accompagne, assurant qu’il allait revenir : ce n’était qu’une “formalité” qui ne concernait que les Juifs étrangers. Mais comme tous ceux qui furent convoqués ce jour-là, il n’est pas revenu.

J’ai reçu, plus tard, un message de sa part, provenant du camp de Beaune-la-Rolande, dans le Loiret, où il avait été interné. Un mois ou deux après, j’ai pu obtenir un permis de visite pour aller le voir avec notre jeune fils.

Que dire de cette première visite à un camp de prisonniers ?

Nous étions si nombreux, femmes et enfants, à essayer de voir, de parler à un proche ! Il était très difficile de pouvoir s’isoler, mais nous étions heureux pourtant de nous revoir, malgré la présence de nombreux gendarmes français, certains très durs, d’autres plus indulgents.

Les prisonniers avaient eu l’autorisation de sortir du camp par petits groupes, encadrés par des gendarmes, pour rencontrer leur famille, par roulement, dans un hôtel-restaurant tout proche.

À cette occasion, j’ai insisté auprès de lui pour qu’il tente de s’évader, mais il a refusé : il craignait en s’évadant, comme la rumeur le mentionnait, de nous mettre en danger, Guy et moi. Et puis son oncle, interné le même jour que lui, était à l’intérieur du camp. Il ne voulait pas partir sans lui.

Par la suite, je suis revenue dans le Loiret : avec ma sœur et mon beau-frère, nous avons loué des chambres dans un village près de Beaune-la-Rolande. Mais nous n’avions plus de permis de visite. C’est seulement à travers les grillages du camp que j’ai pu revoir Bernard, avant que les gendarmes ne nous intiment l’ordre de nous éloigner.

C’était la dernière fois que je voyais mon mari.

Je suis rentrée à Paris. Je recevais quelques lettres, j’envoyais des colis qui n’arrivaient pas tous à destination. Puis il m’a écrit qu’on leur avait demandé de faire leur valise : ils allaient partir, mais ne connaissaient pas leur destination.

Puis il y eut ce dernier message. Je ne sais comment il m’est parvenu : Bernard l’avait jeté d’une fenêtre du train qui l’emmenait vers l’Est. Il disait "Je suis en bonne santé, nous partons pour “pitchipoï”, j’essaierai de donner des nouvelles”.

Mais je n’ai plus eu aucune nouvelle.

Comme beaucoup de familles juives, nous avons dû traverser cette période sombre en essayant de passer au travers des mailles du filet, d’éviter les embûches mortelles afin de pouvoir un jour vivre enfin “libres”, mais blessés à jamais.

 

Témoignage recueilli en 2009

 

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BERNARD (BENCJAN) WAJSMAN
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 1er septembre 1942 à l’âge de 30 ans

ESTHER VAINBERG
Veuve de Bernard (Bencjan) Wajsman