Au camp de Pithiviers. Szmul-Jankel Garbarz est le 1er debout à droite. Son frère Moshe est accroupi au centre (hiver 1941-1942, sd). Archives familiales

Szmul-Jankel GARBARZ
par son frère Moshe Garbarz

Szmul-Jankel Garbarz, c’est-à-dire Samuel Jacques, a immigré à Paris en 1926, rejoignant un oncle paternel.

Il est né en 1906, bien que la date officielle donne 1909. Notre père Haim Rubin étant mort de maladie en 1915, Jacques s’est donc retrouvé dès l’adolescence être le chef de famille. Il avait appris la maroquinerie en Pologne. C’est lui qui, en 1929, a accueilli toute la famille à Paris : sa mère Myriam, sa sœur Paulette (Pessè-Kaylè), ses deux frères Albert (Anshel-Leib) et moi.

Plus qu’un manuel, c’était plutôt un intellectuel. Il a rapidement parlé très bien français. Il s’est marié, a eu une fille Rosette. Ils habitaient à Paris, 46 rue Orfila dans le 20e, près de la place Gambetta.

Il s’est engagé dans l’armée française. Au moment de la débâcle, son commandant a ordonné : “Sauvez-vous, essayez de vous habiller en civil”. Il est rentré à Paris.

Convoqué par les autorités françaises en mai 1941 au gymnase Japy, il s’est retrouvé à Pithiviers avec moi.

Nous voulions nous évader ensemble. Mais nous ne nous sommes jamais retrouvés dans le même travail à l’extérieur du camp. J’ai été affecté dans la ferme Lecoq et Jacques dans une sucrerie.
Jacques a été déporté par le convoi 4, le 25 juin 1942. Quelques semaines plus tard, je suis à mon tour arrivé par le convoi 6.

Je témoigne dans mon livre “Un survivant” publié chez Plon, puis chez Ramsay :
 
Je m’inquiétais pour mon frère Jacques, parti de Pithiviers trois semaines avant moi. J’ai interrogé tous les gars qui arrivaient à Birkenau en provenance d’Auschwitz. Personne ne savait rien. Je dressais un plan. “S’il vit encore, j’irai le secourir. Avec deux litres de café par jour, je suis riche. En outre, la chance aidant, je parviendrai à l’emmener avec moi trier les habits.”

Finalement, j’ai rencontré un camarade de Jacques. Ils s’étaient engagés ensemble dans l’armée française et, après la débâcle, ils s’étaient retrouvés à Pithiviers.

- Tu sais, ton frère est mort. J’ai vu son cadavre. Il a tenu juste douze jours.

Cette nouvelle m’a assommé, puis je me suis dit : “Mieux vaut être mort que souffrir. Il n’aurait pas résisté jusqu’au bout. Il était moins armé que toi, c’était plutôt un intellectuel, pas un dur et un boxeur dans ton genre. Toi-même, tu ne te fatigues pas et, en comparaison des autres, tu manges très bien. Mais combien de temps vas-tu rester aux habits ? Si on te renvoie dans l’un de tes précédents kommandos, tu ne survivras pas quinze jours.”

Mon frère Jacques était un type très bien, un fils et un frère modèle. Aîné dans notre famille d’orphelins, il s’était toujours dévoué pour nous. Homme d’une profonde intelligence, il parlait et écrivait trois langues. Il maîtrisait à fond la maroquinerie. Il a, en outre, inventé un porte-monnaie très pratique, d’une conception originale.

J’ai demandé :

- Il a beaucoup souffert ?
- Franchement je ne crois pas.

Sur le coup, je n’ai pas cherché à en savoir davantage. Puis dix jours plus tard, l’ami de mon frère a été tué par les SS.

Pendant vingt ans, j’ai refusé d’en apprendre plus. Et puis j’ai rassemblé mon courage et j’ai retrouvé le seul témoin encore vivant.

Blachman m’a raconté :

- Ton frère m’a demandé :

- Le combien sommes-nous aujourd’hui ?

En réalité, cette date il la connaissait très bien, mais il voulait m’associer à son désespoir. Il a ajouté :

- Tu vois, aujourd’hui, ce serait l’anniversaire de ma petite fille, Rosette. Elle est sûrement gazée et ma femme avec.

Aussitôt après, il s’est jeté par la fenêtre, la tête la première, nous étions au second étage.
 
Sa femme Krayndel-Karolè Tuszynski a été elle aussi déportée et gazée.

Rosette, leur petite fille, avait 6 ans quand elle a été gazée avec le convoi 24.

Elle a failli être sauvée. Une organisation de sauvetage voulait bien la prendre en charge, mais il fallait des habits. Impossible de les récupérer, il y avait les scellés sur la porte.

Elle figure dans le Mémorial de Klarsfeld pour les enfants. Par contre, à ce jour, je n’ai pas réussi à faire inscrire son nom sur le mémorial des enfants gazés du 20e square Edouard Vaillant derrière la mairie.

La famille avait réussi à garder l’alliance en or de Jacques qu’il avait ôtée avant Pithiviers. Elle a été volée chez moi par une femme de ménage, bien sous tous les rapports.

J’ai prénommé mon second fils, né en 1947, Jean-Jacques en l’honneur de son oncle.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

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SZMUL-JANKEL GARBARZ
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 10 août 1942 à l’âge de 36 ans

MOSHE GARBARZ
Frère cadet de Szmul-Jankel Garbarz
Interné au camp de Pithiviers le 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 17 juillet 1942
Décédé le 31 mars 2010 à l’âge de 96 ans