Abraham GUTMAN
par ses filles Marie le Guludec et Madeleine Weisbaum
Abraham Gutman, mon père, était né le 10 octobre 1900 à Lodz. Il est venu en France en 1923. Ma mère, Ita, également originaire de Lodz est venue en France en 1924. Mes parents s’étaient mariés en 1923. Mon père était tailleur pour dame.
Ma mère parlait très bien français, elle avait pris des cours de français rue Serpente à Paris dans le 6e à l’institut des Sociétés Savantes. Elle était remarquablement intelligente.
Mes parents parlaient en yiddish et en polonais. Tous deux étaient mélomanes. Même quand ils avaient du travail, ils allaient au théâtre du Châtelet et travaillaient une partie de la nuit.
Ma sœur Masza (Madeleine) est née en 1924, moi-même en 1925. Notre frère Joseph était né en février 1929. C’était un garçon très sérieux, brillant. Il voulait faire du dessin industriel. Mes parents habitaient 1bis rue Hautefeuille à Paris 6e.
Madeleine Weisbaum-Gutman se souvient du 14 mai 1941. (Son témoignage est paru dans le Journal des Fils et Filles de déportés juifs de France-FFDJF)
Ma mère supplia mon père de ne pas se rendre à la convocation par le commissariat. J’irai à ta place, disait-elle. Très doucement, en souriant, il répondit à ma mère, le visage effrayé, bouleversé : “Ils ne me feront rien, voyons ! Je ne suis pas riche, je ne pense pas que les pauvres gens les intéressent. Seuls les riches représentent hélas un intérêt pour eux ! Que veux-tu qu’ils fassent à des juifs pauvres qui ne sont ni voleurs ni criminels”… Mon père fut envoyé au camp de Beaune-la-Rolande.
Puis, après l’arrestation de notre père, notre situation financière était bien précaire. Ma mère trouva du travail à domicile, moi je trouvai un emploi dans un bureau.
Puis, la rafle du Vel d’Hiv : un inconnu prévint ma mère et une amie d’une rafle de tous les Juifs le lendemain. Elle ne put trouver d’endroit où se cacher.
Dans l’appartement, un policier en possession d’une liste demanda nos noms et prénoms, les trouva et les cocha… Dans la chambre, allongé, la jambe plâtrée, mon jeune frère, âgé de 12 ans, attendait les soins indispensables à son état. Il était de nationalité française et n’était pas inscrit sur la liste, mais ma pauvre maman ne voulut absolument pas se séparer de son enfant. Ma sœur était partie au travail de bonne heure, c’est ainsi qu’elle fut sauvée. Nous fûmes conduites au commissariat du 6e arrondissement et mon frère arriva avec un car. Marie, prévenue, arriva le visage blême, mais ma mère lui fit comprendre le danger et la fit repartir. Quatre jours d’horreur au Vel d’Hiv, puis le 22 juillet nous repartîmes avec nos baluchons… Pour contenir ce flux, cette marée humaine, les gendarmes se tenaient en rangs serrés. Dans la bousculade, la chaîne se rompit. À cet instant, avec le courage du désespoir, dans un réflexe instantané, je me faufilai entre les deux autobus… Je partis tout droit devant moi. Ma mère me vit et elle n’a rien dit.
Abraham a été déporté par le convoi 6 du 17 juillet 1942, Ita et Joseph (13 ans) par le convoi 31 du 11 septembre 1942.
Témoignage recueilli en 2010
ABRAHAM GUTMAN
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 17 juillet 1942 par le convoi 6
Assassiné à Auschwitz le 17 août 1942 à l’âge de 41 ans
MADELEINE WEISBAUM-GUTMAN
Fille d’Abraham Gutman
Née en 1924
MARIE LE GULUDEC
Fille d’Abraham Gutman
Née en 1925