Abraham Reiman, engagé volontaire à Barcarès en 1940. Archives familiales

Abraham REIMAN
par sa fille Arlette Testyler

Mes parents sont nés à l’est de la Pologne, à Mostywielki et Tartakow en Lituanie. Je viens de découvrir, grâce au travail du père Desbois, comment ont péri ces deux grandes familles : celle de mon père qui se composait de sept ou huit enfants et celle de ma mère aussi importante. N’ont survécu que le frère de papa et un frère de maman, réfugiés en Amérique dans les années 1920.

Mon père avait choisi la France. Il n’avait pas vingt ans lorsqu’il émigra, et il me répétait souvent : “C’est le pays des droits de l’homme, le pays de Voltaire, Rousseau, Zola”. Il s’était engagé comme volontaire en 1939 et a fait ses classes à Barcarès. Après sa démobilisation, il est revenu à Paris et, comme un bon citoyen, il est allé se faire recenser avec toute sa petite famille. Il était artisan fourreur.

Puis ce fut la mise en place des premières lois antijuives. Et papa fut dépossédé de son matériel de travail. Un administrateur aryen fut désigné pour gérer ses biens : tout l’atelier fut spolié, y compris le matériel, ses machines à coudre etc.

Et le 13 mai 1941, deux agents de la police française ont apporté ce petit “billet vert” qui allait bouleverser toutes nos vies de confiance. Ma maman avait le sentiment que cette convocation cachait quelques menaces. Je me souviens qu’elle a supplié Papa de ne pas se présenter, mais toujours très respectueux des lois françaises, il y est allé. C’était au commissariat de la rue Beaubourg, dans le 3e arrondissement de Paris, et nous l’avons accompagné, ma sœur Madeleine, âgée d’un peu plus de neuf ans, moi-même, âgée de huit ans, ainsi que maman.

Cette convocation avait été bien orchestrée : il était précisé de venir avec un membre de la famille. Non pour nous rassurer, mais uniquement dans le but de revenir avec du linge nécessaire pour ce séjour. Il a été arrêté par la police française.

Folle de douleur, Maman se lança dans une course effrénée aux renseignements et dès qu’elle sut dans quel camp il se trouvait, elle se précipita à Pithiviers. Nous avons eu la possibilité de le voir plusieurs fois pendant son séjour, grâce à la gentillesse d’un gendarme alsacien qui travaillait dans le camp. Nous avons séjourné plusieurs fois chez lui, et, au matin, il nous emmenait près des fils de fer barbelés pour que nous puissions parler à notre père pendant quelques minutes. Mon papa a même pu aller travailler dans une des grandes fermes situées à plusieurs kilomètres pour la moisson. Nous logions alors dans une grange de la ferme, nous éclairant avec des bougies que maman confectionnait avec de la graisse de bœuf. Je me souviens que maman suppliait papa de s’évader, mais il refusait, toujours aussi confiant dans la France qu’il vénérait. De plus, il craignait que des otages soient fusillés et il avait donné sa parole qu’il ne s’évaderait pas.

Dès le printemps 1942, il ne fut plus possible de recevoir des visites ni de travailler à l’extérieur. Mon père participa à l’un des ateliers à l’intérieur du camp qui faisait de la petite menuiserie. C’est ainsi qu’il me fit parvenir un précieux souvenir, sculpté par un camarade ébéniste, un porte-plume où il était écrit “ma chère petite Arlette”, qui portait sa photo ainsi que la mienne. Ma sœur Madeleine reçut aussi “son” porte-plume. Il est toujours en ma possession.

Puis aux premiers jours de juillet 1942, ma mère reçut une lettre indiquant le départ de Papa pour une destination inconnue. Pour nous, cela deviendra destination Pitchipoi.

Le 16 juillet 1942, vers trois ou quatre heures du matin, nous avons été toutes trois arrêtées et conduites au Vel d’Hiv (opération vent printanier). L’horreur a commencé. Nous y sommes restées trois jours. Puis des autobus nous ont conduites à la gare d’Austerlitz. Le wagon était une véritable fournaise. Dès son arrivée, Maman chercha un moyen de nous faire évader. Grâce à son ingéniosité et l’ausweis qu’elle avait obtenu à Paris, nous pûmes nous rendre à Paris et réussîmes à nous évader de Paris trop dangereux : les arrestations, les rafles étaient quotidiennes.

Maman nous plaça ensuite dans une famille à Vendôme jusqu’en 1944. Elle nous donnait régulièrement signe de vie. À la Libération, elle se rendait chaque jour à l’hôtel Lutétia où les listes des survivants y étaient affichées. Puis un jour, elle rencontra deux rescapés d’Auschwitz qui avaient également été déportés le 25 juin 1942, par le convoi 4, avec papa. Ils se souvenaient de lui et ont dit qu’il occupait la baraque 28 à Auschwitz. Au mois d’août de cette même année, il souffrit de la soif, de cachexie. Ils ont dit qu’il a été gazé et brûlé à Auschwitz (j’ai un acte du camp d’Auschwitz qui le confirme).

À partir de ce jour, notre mère sombra dans un profond mutisme, elle se coupa du monde et se laissa mourir de chagrin. Madeleine et moi fûmes alors deux orphelines de guerre.

 

Témoignage recueilli en 2009

 

 

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ABRAHAM REIMAN
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz en 1942 à l’âge de 37 ans

ARLETTE TESTYLER
Fille d’Abraham Reiman
Née le 30 mars 1931 à Paris