Jacques MANDELBAUM
par sa sœur Lucienne Wasung
Je me souviens de ce mercredi 13 mai 1941 comme si c’était hier, une convocation pour la caserne des Lilas arrive chez nous au nom de mon grand frère Jacques, né le 1er mars 1921 à Pzytyck, une petite ville en Pologne, près de Radom.
Il est le seul concerné, mon père né en 1890, n’est pas convoqué, avait-il dépassé l’âge ? Joseph, mon autre frère, n’a que 17 ans.
Depuis 1936, nous habitions dans le quartier de Belleville au 33 rue Ramponneau. Dans l’immeuble, nous étions les seuls Juifs, mais, en face, il y en avait énormément. Mes parents possédaient un atelier de couture attenant à l’appartement, mais séparé par une porte condamnée. Le grand luxe, en comparaison de l’appartement précédent, rue des Partants, car la grande pièce où nous vivions servait aussi d’atelier et de chambre pour les deux frères. De plus, les toilettes étaient sur le palier, alors que précédemment, ils étaient dans la cour.
La famille travaillait dur à refaire des vêtements neufs à partir de lots de vêtements usagers fournis par la teinturière du quartier. Ma mère devait découdre les vêtements, mon père les passait sous presse à l’envers. Puis ses doigts de fée ou ses mains d’or faisaient le reste. Les vêtements méconnaissables étaient vendus rue de Tourtille. Mon frère Jacques était l’aîné et travaillait à l’atelier familial, et mon frère Joseph avait lui aussi commencé son apprentissage.
Comme tous ses copains, il tenait absolument à répondre à la convocation du “billet vert”, simple formalité anodine et sans danger, pensait-il, et ce malgré l’opposition de ma mère qui insista pour l’accompagner le lendemain. De la caserne des Lilas, il se retrouve à Pithiviers, puis à la ferme du Rosoir en Sologne. Réalisant sa bévue, il n’hésite pas à s’en évader, très vite, ce qui était relativement facile à l’époque puisqu’en juillet, il était rentré sur Paris. Un ami est arrivé à entrer en contact avec lui à la ferme et lui fournit un vélo. Muni de faux papiers, il passe la ligne de démarcation pour rejoindre un oncle de la famille maternelle, démobilisé à Villefranche-de-Rouergue où il passera tout le reste de la guerre, mobilisé aux Chantiers de la jeunesse de la région.
Une dernière anecdote qui aurait pu tourner mal : ma mère l’accompagne à la gare de Lyon et sur le quai, contrôle d’identité massif et brutal. Avec un sang-froid qu’elle aura l’occasion de réitérer, ma mère demande à mon frère de la prendre dans ses bras et l’embrasse passionnément. “T’as vu la vieille !” se contentent de dire les flics en passant près d’eux.
Le reste de la famille reste à Paris et échappe de justesse à la rafle du Vel d’Hiv. Mon père et mon autre frère trouvent à se cacher dans une pièce isolée de l’immeuble fournie par la gardienne. Ma mère et moi-même sommes arrêtées le 16 juillet. Grâce de nouveau au sang-froid de ma mère, nous tentons de nous échapper par la porte condamnée qui menait à la cave. Les flics nous rattrapent, guidés par le voisin du dessous. Nous sommes emmenées dans un parking de la rue des Pyrénées qui servait de lieu de rassemblement. Là, le miracle se produit : un inspecteur nous prend en charge, il détruit nos fiches et nous laisse partir, ainsi que deux autres personnes. J’aimerais retrouver sa trace, mais je n’ai même plus son nom en mémoire. Dans la même journée, l’un nous dénonce, l’autre nous sauve la vie !
Nous nous sommes tous retrouvés à Villefranche-de-Rouergue où se trouvait une petite communauté de Juifs venant de Lille et de Lens. Mon frère Jacques avait une paire de faux papiers, les uns au nom de Jacques Morel, les autres au nom de Martin. Après les chantiers de jeunesse, il s’est engagé dans l’Armée juive et convoyait des adultes ou des enfants soit vers Toulouse, soit vers Annecy. Comme tous les autres, il parlait peu de son engagement. Il est mort le 9 novembre 2009.
Témoignage recueilli en 2011
JACQUES MANDELBAUM
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Évadé le 24 août 1941
Décédé le 9 novembre 2009
LUCIENNE WASUNG
Sœur de Jacques Mandelbaum