Michel PIERNIKARZ
par Denise Madeleine, sa fille
Ce témoignage concerne le convoi 5 dans lequel était mon père, interné au camp de Beaune-la-Rolande et embarqué en gare de Beaune dans des wagons de marchandises vers une destination inconnue pour lui.
Aujourd’hui, nous savons que tous partaient vers la mort à Auschwitz. Il m’est difficile de faire un témoignage uniquement sur la vie de mon père jusqu’au cheminement du convoi 5 sans évoquer ma mère. Dans mes souvenirs, mes parents sont liés ; tous les deux sont devenus cendres, sauf que le numéro du convoi qui les a emportés est différent.
Mon père, Michel Piernikarz, est né en Pologne en 1904 et vivait dans un village, à Zdunska-Vola. Il a quitté sa famille en 1922, il avait 18 ans. Il a choisi de vivre en France, pays de liberté et des droits de l’homme. Il avait des idées de gauche et n’était pas pratiquant. Maman, dont le nom de jeune fille était Sophie Itic, est née à Jassy en Roumanie. Elle a quitté ce pays en 1928, à l’âge de 17 ans.
Mes parents se sont rencontrés à Paris. Ils se sont mariés en 1931 à la Mairie du 20e arrondissement. Je suis née deux ans plus tard, et fus naturalisée française dès ma naissance par déclaration.
Je me souviens que mes parents parlaient couramment le français.
Je vivais une enfance heureuse, insouciante. Je pensais être une enfant comme les autres, jusqu’au jour où maman a cousu une étoile jaune sur mon tablier noir d’écolière. J’avais huit ans. Je découvris ma différence, sans vraiment bien réaliser : je suis juive.
Papa était piqueur de tiges, maman couturière. Tous deux travaillaient dans notre appartement de trois pièces dont l’une était l’atelier.
Nous habitions à Paris, rue des Fêtes. Papa avait également une cordonnerie dans la même rue. Il était inscrit au registre des métiers au Tribunal de Commerce de la Seine depuis 1936. Peu après la déclaration de la guerre, il s’est engagé et fut incorporé dans l’armée polonaise. Je me souviens, quand il fut démobilisé et qu’il est revenu habillé en soldat, comme j’étais fière de mon papa.
Le 14 mai 1941, suite à une convocation au commissariat par le fameux “billet vert”, papa fut interné à Beaune-la-Rolande. Avec maman, nous sommes allées le voir, je crois deux fois en dehors du camp car il travaillait dans une ferme. Nous avions pique-niqué et papa m’avait offert un lit de poupée en bois ; il était rose. En retrouvant des lettres que papa avait écrites à sa sœur, j’ai pu imaginer son emploi du temps dans ce camp de Beaune-la-Rolande. Il était d’un naturel optimiste et se considérait comme prisonnier de guerre.
Il prenait des cours de français, d’anglais et d’histoire ; il allait même au cinéma. Comme il l’écrit : “Cela sonne drôle, je vais même au cinéma dans le camp”. Il écrit encore : “J’espère que le moment de la libération s’approche”.
Il fut déporté vers Auschwitz par le convoi 5, le 28 juin 1942. Je ne l’ai jamais revu.
Maman et moi avons échappé à la rafle du Vel d’Hiv, cachées chez des amis français.
Nous sommes réveillées en pleine nuit, il faut vite partir sans prendre le temps de préparer une valise. Une jeune femme nous emmène et nous loge dans un appartement voisin du sien. Nous ne devions pas en sortir. C’était leur concierge qui faisait nos courses. Jamais je n’oublierai cette brave femme qui se nommait Mme Rimbaud. Après environ 2 semaines, maman est retournée chez nous récupérer des vêtements, de l’argent... Avant de partir, elle me demande de l’attendre sans bouger et dit qu’elle sera vite de retour. Je l’attends toujours, elle n’est jamais revenue.
Ayant appris que maman était internée au camp de Drancy, on m’y a emmenée pour que je puisse la voir. Le gendarme qui gardait l’entrée du camp m’a empêchée d’y pénétrer. Aujourd’hui, j’imagine qu’il a dit aux personnes qui m’accompagnaient de repartir avec moi.
Après quelques jours, je fus emmenée à l’U.G.I.F rue Lamarck à Paris. De là, j’ai été placée dans une ferme chez des paysans dans la Mayenne. Je ne suis pas retournée à l’école ; à neuf ans j’étais bonne à tout faire, entre les travaux dans la maison et ceux des champs.
À la fin de la guerre, on est venu me chercher. J’ai vécu dans différentes maisons d’enfants, principalement dans celles de la C.C.E.
Longtemps, très longtemps, j’ai attendu le retour de mes parents, jusqu’au jour où j’ai compris qu’ils ne reviendraient jamais. Je ne sais plus au bout de combien d’années j’en ai eu conscience.
Mes parents sont toujours présents dans ma mémoire, je n’en ai jamais fait le deuil.
Témoignage recueilli en 2008
MICHEL PIERNIKARZ
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 19 juillet 1942 à l’âge de 38 ans
DENISE MADELEINE
Fille de Michel Piernikarz
Née en 1933