Mordka-Rafal WISNIEWSKI
par ses enfants Renée Papiernik et Jacques Wisniewski
Né le 12 novembre 1907 à Szcerzcow (Pologne), ville de la région de Lodz fondée au 17e siècle, il était le fils de Perec Wisniewski, (boulanger) et de Riwka Zelinska. Des documents attestent de l’existence d’un frère Schya et de quatre sœurs : Sura, Pessah-Mirla, Ruchla et Elka.
En raison de la crise financière de 1929, de l’antisémitisme de plus en plus virulent de la part des autorités polonaises et surtout de la pénurie de main-d’œuvre en France, il signe un contrat aux aciéries de Longwy et travaille à partir de 1930 à Mont-Saint-Martin (Meurthe & Moselle). Au terme de son contrat, il apprend la confection pour dames et s’installe à Paris en décembre 1933, comme artisan tailleur à façon.
Il se marie avec Szyfra Zlata Bicz née le 15 mai 1909, fille de Motel Bicz et de Ruchla Haya Joskowicz. Le 6 janvier 1938, naissance de son fils Jacques, le 20 mai 1940 de sa fille Renée.
Le 2 septembre 1939, bien que réformé de l’armée polonaise, il s’engage pour la durée de la guerre.
Le 14 mai 1941, il répond à une convocation de la police française de se présenter au Gymnase Japy à Paris et il est transporté le jour même au camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) où il est “hébergé”, puis “interné” dans la baraque n° 8.
Il écrit des lettres, envoie des photos, des poèmes ou des chansons. Les photos le montrant entouré de ses compagnons de captivité ne dépassent pas la date du 26 juin 1942.
Le 28 juin 1942, départ pour une destination inconnue. Il arrive au camp de concentration d’Auschwitz I, le 30 Juin 1942, immatriculé sous le numéro 94634 et placé dans la baraque n° 26. Il est affecté, comme ses camarades d’infortune, à la construction de Birkenau.
Il décédera officiellement le 13 janvier 1943 d’une pneumopathie.
De mai 1941 à juin 1942, Szyfra Wisniewski et ses enfants ont vécu à Paris dans leur appartement. Rester à Paris devenait très dangereux. Une voisine, Clémence Grangier, décida de placer les enfants dans une famille à Verneuil (Nièvre). C’est chez Jean-Marie Bompis et sa fille Francine que les enfants ont passé la guerre à l’abri. Comme pour beaucoup d’autres enfants juifs cachés dans les familles d’accueil, une pension était versée par le dispensaire “La Mère et l’Enfant” de “La Colonie Scolaire”.
Pendant ce temps, Szyfra a vécu cachée chez la voisine parisienne, puis est allée se réfugier à Sassenage.
En 1945, les enfants retrouvèrent leur mère à Paris.
TRADUCTION DE LA LETTRE DU 15/03/42
Beaune la Rolande 15/3/42
Ma chère femme et mes chers enfants
J’ai reçu ta lettre avec grand plaisir. Je suis heureux que toi et les enfants êtes, dieu merci, en bonne santé. Je souhaite entendre toujours de bonnes nouvelles de vous.
De mon côté c’est toujours la même chose.
L’été approche mais l’hiver peut encore durer trois mois.
Je t’envoie à nouveau du linge sale.
J’attends ton courrier avec impatience car je pense toujours à vous. En ce moment je suis très heureux de ta lettre où tu me dis que les enfants ont bien changé. Je pense que Renée est maintenant une grande fille et Jacques un grand garçon. Tu peux t’imaginer combien je voudrais vous voir et être avec vous et vivre une vie de famille. Je pense que ça ne devrait pas durer encore longtemps et que je vais rentrer à la maison bientôt. Je pourrais vous faire à toi, Jacques une belle veste, et à toi Renée, un beau manteau car vous devez en avoir besoin
Merci pour les 100 francs.
La prochaine fois que tu m’enverras un colis renvoie-moi le linge propre et également l’appareil photo avec des pellicules. Tu demanderas le format 6x6 et tu mettras tout ça sous le linge
Je n’ai plus grand chose à dire et je vous embrasse
Votre père et ton époux qui espère se réjouir bientôt avec vous.
Ton Mordka
Commentaires:
Nous, Jacques et Renée, pensons que si notre père réclame l’appareil photo (ici le 15 mars 1942), c’est qu’il est conscient que le départ de Beaune-la-Rolande est proche et qu’il veut laisser un ultime souvenir à son épouse et à ses enfants. En fait, il partira le 28 juin 1942. Les photos datées au verso de sa main du 30 avril 1942, du 10 juin 1942 et du 17 juin 1942 nous sont parvenues ainsi que l’appareil de photo. Celui-ci nous a permis de nous initier à la photo étant encore enfants après la guerre.
TRADUCTION DE LA LETTRE DU 31/03/42
Beaune-la-Rolande 31/03/42
Ma chère femme et mes chers enfants
J’ai bien reçu ta lettre. C’est avec plaisir que j’ai lu que vous étiez dieu merci, en bonne santé et je me souhaite d’avoir toujours de bonnes nouvelles de vous. Pour moi c’est comme toujours, j’espère qu’au plus vite on sera réunis.
J’ai bien reçu ton colis avec pain, beurre, pâtes, chou, viande que j’ai savourés et aussi les deux caleçons.
Tu me dis que je ne t’écris pas assez, alors je vais te dire que quand j’essaie d’écrire, je me dis que toi tu as plus de choses à raconter sur la maison, les enfants, ce qu’ils font. Tu m’écris qu’ils ont grandi, ça me réjouit. Tu m’écris qu’ils ne sont pas contents quand il faut rentrer à la maison alors que d’autres enfants sont encore dans la rue, il faut leur dire que ça ne fait rien, un jour ça sera à nouveau bien, il faut seulement être patient. Quand Jacques demande quand son papa sera à nouveau à la maison, lis-lui ma lettre. Ça me fait de la peine que les enfants languissent de moi. Ne te tracasse pas, continue à m’écrire au sujet des enfants ce qu’ils font…
Ecoute mon fils Jacques quand je serai de retour je te ferai une belle veste et à toi ma fille Renée la même chose et une belle jupe. Il faut être sages et bien écouter votre maman.
Maintenant tu me dis que tu manques du nécessaire pour les colis, ne te tracasse pas, ça s’arrangera, l’essentiel c’est la santé et qu’avec nos enfants on puisse se retrouver, patience…Fais bien attention d’avoir assez à manger pour les enfants.
Peux-tu m’envoyer 100 francs. Y a-t-il encore à la maison ……… si tu les trouves peux-tu…….
CHANSON ÉCRITE OU RECOPIÉE PAR MORDKA WISNIEWSKI
Chanson écrite ou recopiée par Mordka WISNIEWSKI datée du 14/05/41, jour de son arrestation, parvenue à son épouse hors du courrier officiel puisqu’elle est rédigée en lettres hébraïques et ne porte pas le tampon “censure”. A noter entre la fin du texte et l’adresse le nom VICHY barré.
14 mai 1941
Beaune-la-Rolande
Quand je vois le camp de Beaune-la-Rolande
Quand je vois les gendarmes avec leur commandant
Quand je vois les juifs innocents
Beaune-la-Rolande surgit dans ma mémoire
Quand je revois un gendarme dans une rue à Paris
Quand je vois un champ boueux et humide
Quand un Homme est maltraité, bousculé affamé
Beaune-la-Rolande surgit dans ma mémoire
Quand je vois en pensée tant de défauts
Quand dans la prison j’entends un bruit de cloche
Quand je reçois une lettre
Beaune-la-Rolande surgit dans ma mémoire
Quand la France redeviendra un pays libre
Alors disparaîtra le camp de Beaune-la-Rolande
Et ce sera le temps de la joie, des rires et de l’allégresse
On se souviendra alors à Beaune-la-Rolande.
Refrain:
Beaune-la-Rolande, Beaune-la-Rolande, oï, oï,
Petit village, tout petit village jamais je ne t’oublierai
Beaune-la-Rolande, Beaune-la-Rolande, oï, oï,
Que ce soit le champ, que ce soit la baraque,
Que ce soit la soupe, un gémissement
Tu es un enjeu par toi-même,
Toi mon nouveau petit chez moi entouré de murs en fils de fer barbelés.
……………………………………………………………………….
Et c’est pour eux une honte, Beaune-la-Rolande.
On dira le nom de Beaune-la-Rolande dans le pays nouveau
Mais ce Beaune-la-Rolande sera fermé
Ici figure le nom VICHY barré
Adresse de destination:
WISNIEWSKI
30 rue de Sambre et Meuse
Paris (10)
Témoignage recueilli en 2011
MORDKA-RAFAL WISNIEWSKI
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 13 janvier 1943 à l’âge de 36 ans
JACQUES WISNIEWSKI
Fils de Mordka-Rafal Wisniewski
Né le 6 janvier 1938 à Paris
RENÉE PAPIERNIK
Fille de Mordka-Rafal Wisniewski
Née le 20 mai 1940 à Paris