Rubin Kamioner, engagé volontaire (sd, sl). Archives familiales

Rubin-Raymond KAMIONER
par son fils Maurice Kamioner

Je me nomme Kamioner Maurice, 10 rue de Sévigné à Ormesson 94490 (Val de Marne). J’ai 82 ans, je suis retraité avec mon épouse Rose, deux filles mariées et cinq petits-enfants.

Mon père, Kamioner Rubin, est décédé le 1er décembre 2007 à l’âge de 98 ans, après une vie consacrée au devoir de Mémoire qu’il s’était imposé dès son retour de déportation en mai 1945.

Il était arrivé en France en 1931 pour étudier la chimie à l’Université de Caen, dans l’impossibilité où se trouvaient les Juifs de Pologne de poursuivre des études supérieures. Il avait obtenu son baccalauréat à Radom (Pologne).

À la mort de son père, responsable de sa famille, il assuma le seul métier qu’il connaissait, celui de son père coiffeur, appris durant son adolescence.

Après quelques années de durs labeurs, marié avec une amie d’enfance, Tauba, il s’installe dans un salon de coiffure et il a pu faire venir sa famille à Paris. Ma naissance n’a pu que renforcer leur couple.

À la déclaration de la guerre, comme beaucoup d’étrangers, il s’engagea comme volontaire dans l’armée où il combattit jusqu’à l’armistice. Fait prisonnier avec son régiment, il s’évada avec quelques camarades et regagna Paris où sa femme et son fils étaient partis durant l’exode, jusqu’à Brive (Corrèze).

À notre retour à Paris, en zone occupée, nous fûmes très vite confrontés aux lois antisémites de Vichy. Le salon de coiffure de mes parents fut confisqué et placé sous l’autorité d’un syndic aryen qui prélevait l’essentiel de la recette.

Un jour, mon père reçut la fameuse convocation dite du “billet vert” et fut interné au camp de Beaune-la-Rolande (Loiret) où il séjourna jusqu’à son évasion. Ma mère, enceinte, et moi sommes allés plusieurs fois à Beaune-la-Rolande où mon père put obtenir, avec d’autres internés, une autorisation de visite. J’avais à l’époque neuf ans, mais le souvenir de notre arrivée au camp, gardé par les gendarmes français armés, demeure vivace à ma mémoire. Derrière la grande porte barbelée, nous pénétrons dans un immense espace dégagé où se profilaient des alignements de baraquements en bois.

Mon père était dans la baraque 2 où il nous était interdit de pénétrer. À notre arrivée, par une chaleur intense, mon père confectionna avec 4 piquets surmontés d’une couverture, un abri pour nous protéger du soleil. Nous étions réunis pour quelques instants, pour partager les maigres provisions que ma mère avait apportées, dans le bonheur d’être ensemble.

Lors d’une autre visite, mon père m’offrit, pour mon anniversaire le 17 mars 1942, un petit pupitre avec deux encriers et en façade la photo de ma mère et de moi-même dans ses bras. Sur le couvercle était sculpté un jeune poulain courant vers une muraille (vers la liberté). Sous le couvercle était gravée l’inscription : “A mon fils Maurice chéri, pour son anniversaire. Du camp de Beaune-la-Rolande 17 mars 1942”.

Ce pupitre avait été confectionné par Szmul Jeger, un camarade de la même baraque dont le fils, Jacques Jeger est mon ami de La Varenne depuis de nombreuses années.

À notre dernière visite au camp de Beaune-la-Rolande, mon père obtint la permission de nous raccompagner à la gare. Il portait à son bras le brassard de coiffeur, connu de tous, y compris des gendarmes. Il aida ma mère, enceinte, à monter dans son compartiment et il nous quitta pour monter subrepticement dans le dernier wagon pour s’échapper du camp. Ma mère était dans la confidence !

À l’arrivée du train, il descendit à Juvisy où il savait qu’il n’y avait pas de contrôle et se cacha à Paris, dans une chambre de bonne, appartenant à des amis absents. Il faut savoir qu’il ne possédait aucun papier d’identité, confisqués lors de son arrestation. Il put rester quelques semaines dans la clandestinité, mais lors d’une rafle, il fut arrêté lors d’un contrôle de police et envoyé au camp disciplinaire de Compiègne dirigé par les SS. Il y séjourna pendant deux mois, puis fut déporté dans le 2e convoi de 1000 hommes partant de France à Auschwitz. La mortalité y était telle que les SS furent contraints de rechercher les médecins et les infirmiers juifs, pour essayer de soigner les blessés et juguler les épidémies. Mon père, parlant l’allemand, le polonais et le français, prit le risque de se présenter et fut admis comme infirmier. Il put, avec ses camarades, soulager la misère de ses coreligionnaires et après mille péripéties, il fut envoyé dans le groupe des 400 pour déblayer le ghetto de Varsovie qui avait vécu l’héroïque résistance et le sacrifice des derniers Juifs survivants dans le ghetto.

Ensuite, devant l’avance des armées soviétiques, les déportés survivants furent repliés et contraints d’entreprendre la terrible marche de la mort qui les conduisit, trois jours plus tard, à un train découvert qui les emmena au camp de Dachau où ils furent libérés le 2 mai 1945 par l’armée américaine.

Sur le 2e convoi parti de France en mai 1942, sur 1000 hommes ne survécurent que 46 hommes.

Dès son retour en France, il eut le bonheur de retrouver vivants sa femme, son fils et sa fille née le 30 décembre 1941 qu’il ne connaissait pas.

La famille de Rubin Kamioner était réunie, mais nous ne connaissions pas encore le désastre provoqué pour le reste de notre famille : il fut considérable…Grands-parents, oncles, tantes, cousins et cousines, tous exterminés par l’idéologie nazie.

Notre situation matérielle était précaire. Notre appartement, spolié et vidé de tous ses meubles était occupé par des voisins qui refusèrent de partir et il a fallu des années de procédures pour que la justice nous restitue notre bien.

De ses épreuves vécues et subies, mon père, dès son retour de déportation entreprit les recherches pour rassembler les camarades survivants, pour ressouder les liens de fraternité et de solidarité vécus dans les camps. Très vite, ils fondèrent les associations des Juifs de France, de toutes opinions et obédiences, et année après année, ils organisèrent les réunions, les congrès et en particulier les Commémorations des camps de Beaune-la-Rolande et de Pithiviers. Les premières années, les cérémonies ne comportaient que peu de monde et les municipalités n’y apportaient que peu d’intérêt, mais les années passant, les familles, les associations, la Presse, la Télé et les publications des Anciens Déportés amenèrent le public et les Autorités locales, départementales et nationales à se rassembler pour le devoir de Mémoire.

Décennies après décennies, les anciens déportés disparaissant, il ne reste que peu de responsables qui puissent prendre la relève. Une nouvelle génération de fils et filles de déportés prendra la relève et peut-être la communauté d’Orléans pourra s’impliquer, comme nous le constatons à chaque commémoration par la participation du CRIF et du Rabbin d’Orléans.

Pour terminer mon témoignage de fils de déporté, je tiens à rappeler que mon père présida jusqu’à 1995 les cérémonies du Loiret, du Vel d’Hiv et de Drancy. Il assuma, jusqu’en 2005, la journée de la Déportation à la Mairie de Saint Maur des Fossés (Val de Marne) à l’âge de 95 ans où il termina, ce qu’il considérait comme obligatoire, son Devoir de Témoigner. Durant sa vie de survivant de la Shoah, il témoigna dans les lycées, les collèges, les classes de Talmud Thora, pour que les jeunes puissent connaître l’indicible horreur du massacre d’un peuple coupable d’être juif.

Son message demeure de rester vigilant pour mériter de pouvoir vivre libre dans un état de droit.

Mon père reçut les plus hautes distinctions des Autorités civiles et militaires et le jour de ses obsèques, le Maire de St Maur, les élus municipaux et départementaux accompagnèrent notre famille et la communauté juive de La Varenne-St-Maur avec notre Rabbin.

 

Témoignage recueilli en 2009 (mis à jour en 2014)

 

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RUBIN-RAYMOND KAMIONER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté par le convoi n°2 à Auschwitz le 5 juin 1942
Décédé le 1er décembre 2007 à l’âge de 98 ans

MAURICE KAMIONER
Fils de Rubin-Raymond Kamioner
le 17 mars 1932 à Paris 12e