Szaja Konsens et son fils Henri (1937). Archives familiales

Szaja KONSENS
par son fils Henri Konsens

Nous sommes en 1926 ; c’est à cette date qu’arrive la famille Konsens à Paris, venant de Lodz (Pologne), poussée par les conditions économiques et l’antisémitisme.

La famille est au complet : il y a Chaïm, le père, mon grand-père, Fajga, ma grand-mère, née Wielinska, leurs trois fils : Schmulek dit Sam, Szaja, mon père, dit Charles, né en 1902, Abraham, dit Albert, et leur fille Rachel, dite Rose. Tout ce petit monde vit, certes modestement, mais heureusement, dans le Marais, rue Vieille-du-Temple.

Un cousin casquettier, déjà en France depuis des années, apprend le métier aux trois garçons. Mon père était mécanicien. Très rapidement, Sam et Albert décident de se lancer dans la fabrication de robes et s’installent au 208 rue Saint-Denis dans un vaste appartement-atelier, en face du passage du Caire.

En 1933, mon père épouse Dwojra Pantofel, la sœur d’un de ses amis. Ils s’installent 89 rue Saint-Denis.

Quant à moi, je suis né le 21 janvier 1937 à l’hôpital Rothschild, cela va de soi.

Les années passent, tout ce petit monde prospère. Entre-temps, mon grand-père décède de maladie à l’hôpital au milieu des années 30.

Puis c’est la déclaration de guerre. Mon père va rapidement s’engager dans la Légion étrangère ; malheureusement, il est jugé inapte (certificat), puis il essaie de s’engager dans l’armée polonaise. Il a été rattrapé par l’armistice (certificat).

On arrive à cette fatale convocation au commissariat du 1er arrondissement qui se terminera par son internement (“hébergement” dit le certificat) à Beaune-la-Rolande. Il restera à Beaune jusqu’au 28 juin 1942, date à laquelle il partira pour Auschwitz par le convoi 5. J’ai retrouvé la dernière lettre qu’il nous a adressée du camp. Je l’ai vue pour la première fois après le décès de ma mère, elle m’a été remise avec divers papiers par son notaire. Elle l’avait conservée sans jamais m’en parler.

De cette période de Beaune-la-Rolande, j’ai un souvenir. J’avais cinq ans, ma mère et moi avons été autorisés à aller le voir. Je me souviens de l’arrivée par le train, de la descente sur la voie ferrée qui jouxtait le camp, de la distribution de thé chaud dans une grande gamelle par la Croix-Rouge et surtout des guêtres en cuir beige marron du gendarme qui surveillait ; ses guêtres étaient à ma hauteur, je ne me souviens plus d’avoir vu mon père ce jour-là, or je l’ai sûrement vu. Quoi qu’il en soit, ce fut la dernière fois.

Les événements se sont alors accélérés. Les rafles à Paris se multipliaient. Je me souviens de l’une d’elle, au carrefour de la rue Rambuteau et de la rue Beaubourg où nous nous sommes cachés, ma mère et moi dans une porte cochère. Toujours est-il que ma mère décide par l’intermédiaire d’un réseau de me placer à Gargenville, près de Mantes-la-Jolie, chez Emile et Germaine Charpentier. Je me souviens que dès mon arrivée à Gargenville, on me conduisit chez le curé qui me fit apprendre les prières catholiques, je les connais encore. J’allais à l’école où j’étais inscrit. Je ne me souviens pas si c’était sous mon vrai nom. Quelque temps plus tard, je fus rejoint par ma cousine Mimi, fille de ma tante Hélène, la sœur de ma mère.

La situation à Paris devenait de plus en plus compliquée ; ma mère a été arrêtée en 1942, lors de la rafle du Vel d’Hiv, et internée à Drancy. Elle fut miraculeusement libérée, je ne sais pas comment, et vint me chercher à Gargenville. Nous sommes en 1943, un véritable tour de France commence pour nous, d’abord Toulouse, puis Grenoble, puis Saint-Etienne, séjours chaque fois émaillés de départs nocturnes précipités. Nous poserons définitivement nos valises dans un petit village de Haute-Loire nommé La Penide. Nous étions en compagnie de mon cousin Henri et de sa mère Rose, la sœur de mon père. Pour assurer le quotidien, ma mère et ma tante élevaient des poulets et des lapins et s’occupaient du jardin. Et c’est à La Penide que nous avons appris la libération de Paris.

Nous sommes rentrés à Paris au 89 rue Saint-Denis ; nous ne savions rien de mon père et l’attente a commencé. Des déportés qui étaient rentrés venaient à la maison, donnant des nouvelles rassurantes, qui étaient toutes fausses. Nous allions régulièrement à l’Hôtel Lutétia et ce, jusqu’à la confirmation du décès de mon père.

Après la guerre, ma mère a refait sa vie. Quant à moi, je suis allé en pension pendant trois ans. La vie a continué cahin-caha. Ma mère ne m’a jamais reparlé de mon père. La seule évocation venait de ma grand-mère et de mon oncle Albert. Ils habitaient ensemble dans l’appartement du 208 rue Saint-Denis. J’y passais tous mes dimanches à écouter ma grand-mère me parler (en yiddish) de ses fils Sam-mon oncle et Charles,­– mon père –, tous deux morts à Auschwitz.
 
À 14 ans, mon beau-père me met en apprentissage (coupeur sur tissus). Je voulais être médecin. Période difficile, je refuse, je fugue et finalement, ma famille paternelle intervient. Je passe mes bacs à Louis-le-Grand, puis toujours avec l’aide de ma famille et beaucoup de volonté, j’ai fait mes études de médecine. Je suis actuellement ORL en retraite.

En 1968, j’ai connu Claudine, mon épouse. Deux filles sont nées en 1970 et 1972.

Elles ne savent pas grand-chose de cette période. Ce que j’ai écrit là, elles l’ignorent. C’est ce qui m’a incité à témoigner. Peut-être que les minces souvenirs qui sont encore en ma possession pourront éveiller en elles un désir d’approcher un grand-père qu’elles n’ont jamais connu. Quant à moi, je me suis efforcé de laisser une trace de son passage, je l’ai fait inscrire à Yad Vashem.

Ma grand-mère, inhumée au cimetière de Bagneux dans le caveau des enfants de Piotrkow, a fait graver de son vivant sur le monument de l’Association le nom de ses deux fils Schmulek et Szaja, morts à Auschwitz.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

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SZAJA KONSENS
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 5 août 1942 à l’âge de 40 ans

HENRI KONSENS
Fils de Szaja Konsens
le 21 janvier 1937 à Paris 12e