Famille DRUCKER
par Lydie Drucker Saltsman, fille de Simon Drucker
Mes grand-parents, Abraham et Thérèse DRUCKER ont quitté la Galicie (Lemberg = Lwow) pour la France en 1921.
Lorsque la guerre éclate, Abraham s'engage dans l'armée française en tant que volontaire émigré. Mon père, Simon, m’a décrit l’acte de bravoure de son papa qui a traversé avec un camion les lignes ennemies pour retrouver ses camarades et les évacuer. Il est démobilisé en 1940. En mai 1941, il reçoit une convocation à la gendarmerie située place des Vosges pour ''examen de situation" : le billet vert. Pensant à une simple régularisation administrative, mon grand-père se présente à la Caserne, est arrêté et transféré au camp de Pithiviers. Après plus d’un an, le 25 juin 1942, il est déporté à Auschwitz par le convoi 4. Le numéro 41 940 est tatoué sur son bras. Il y fut assassiné.
Thèrèse, ma grand-mère et ses deux fils, Simon, 18 ans, mon père et Isidore, 12 ans, mon oncle, sont arrêtés tous les trois par la police française lors de la rafle du Vel d'hiv le 16 Juillet 1942. Ils restent "parqués" sans eau, sans nourriture et sans commodité au Vélodrome d'Hiver pendant quatre jours. Mon père m'a raconté : "On était les uns sur les autres. Certains se suicidaient, d'autres hurlaient. Tous ces cris sont à jamais gravés dans ma mémoire". Cette mémoire, c'est la nôtre aujourd'hui, celle des générations suivantes, celle de l'Humanité.
Tous les trois sont envoyés à Beaune la Rolande. Ce sont les gendarmes français qui les gardaient. Mon père m'a dit : "un jour, des gens se sont révoltés, parce qu'ils avaient entendu dire qu'un train allait les expédier en Allemagne. Pour étouffer cette mini-insurrection, les gendarmes ont fait venir trois Allemands : l'un d'eux tenait une mitrailleuse et les deux autres la servaient. Ils continuaient malgré cela à avancer vers eux, mais quand ils ont compris qu'ils allaient être fusillés, ils ont capitulé et ont reculé".
Ma grand-mère est brutalement séparée de ses deux enfants au camp de Beaune-la-Rolande en août 1942. À l'idée de les laisser seuls, mon père m'a décrit la crise de désespoir de sa mère. Elle résista aux gendarmes qui l'emmenaient vers le train en hurlant "mes enfants, mes enfants - que vont-ils devenir ? Les gendarmes la tirèrent avec brutalité, sous nos yeux horrifiés". Elle est déportée directement à Auschwitz par le convoi 15 le 5 Août 1942. Elle y fut assassinée.
Isidore, mon oncle, est né à Paris le 19 Août 1930. C'était, m’a raconté mon père : " un brillant élève, très indiscipliné et même chef de bande (garçon jouant dans la rue)". Lorsqu'il est arrêté lors de la rafle du Vel d'hiv avec sa maman et son frère Simon, il a 12 ans. Il est transféré avec eux au camp de Beaune la Rolande. J'essaye d'imaginer ce qu'aurait dû être l'été 1942 pour un écolier de 12 ans en vacances scolaires, mais aussi ce que cet été fut vraiment et ce qu'il endura dans cette effroyable réalité : la faim, la privation de liberté dans des conditions sanitaires déplorables, la détresse morale. Le 19 août 1942, il est envoyé à Drancy, soit le jour de son anniversaire, pour être déporté vers Auschwitz le 21 août 1942 par le convoi 22. Il y fut assassiné.
Papa est né le 22 Février 1924 à Paris, rue Jules César près de la Bastille. Il est déporté le 2 septembre 1942 par le convoi 27 vers Auschwitz. Papa m'a raconté : "En direction d'Auschwitz, le train s'arrêta à Kosel où se trouvait un camp qui avait besoin de main d'œuvre. Les allemands ont ouvert le wagon et ont demandé leurs âges aux personnes à l’intérieur du wagon : celui qui avait dix-huit ans a dit quinze ans, celui qui en avait quinze a dit vingt-cinq. Papa, qui avait dix-huit ans a dit dix-huit. Il a été le seul à descendre du wagon”. Trois semaines plus tard, les Allemands leur ont demandé qui voulait partir à Auschwitz retrouver leurs parents. Papa a levé la main, mais c'est à Tzebinia qu'il a été débarqué. Là, avec trois camarades, il décide de s'évader de ce camp de travaux forcés, en construction, avec des barbelés pas encore électrifiés. C’était le 10 octobre 1942.
Repris par la gestapo, remis aux S.S. il réussit à dissimuler qu'il est juif. Il connaît sept prisons en Allemagne dont Erfurt Leipzig, Halle, Kassel, Chemnitz, Saarebruck et Francfort. Chaque fois, sa vie ne tient qu'à un fil. Quand il est découvert comme juif, Papa s'attend à être pendu. Il est envoyé à Auschwitz en mars 1943, puis à Buna Monowitz.
Mon père m’a dit avoir toujours gardé espoir lors de sa déportation dans les pires moments en repensant aux paroles que son petit frère Isidore avait prononcées, lorsqu'il fut à son tour séparé de lui à Beaune la Rolande(1) : "Ne t'inquiète pas, on se reverra après la guerre avec papa et maman et on sera heureux". C'est son petit frère qui lui a donné la force morale en l'encourageant.
Ces années de souffrance sous le matricule 115614 tatoué au bras gauche nécessiteraient ici évidemment des pages et des pages. Mon père a témoigné auprès de l'Institut National de l'Audiovisuel, auprès de la Fondation Spielberg, ainsi qu'au Holocaust Memorial à Washington, et a participé à la rédaction de livres. Il a parlé dans les collèges, lycées en France et en Allemagne.
Après l'évacuation d'Auschwitz et la terrible Marche de la Mort, Papa est transféré par wagon découvert. Le train passe par Vienne, à destination de Dora-Nordhausen. Dans ce camp mon père m’a dit qu’il a été déclaré ‘apte au travail’ : fabrication de V1-V2. Au bout de plusieurs semaines, mon père et les autres ont été évacués vers Osterode, puis vers les camps de Ellrich et Ottmuth. Ensuite, les SS les ont embarqués dans un train vers la Tchécoslovaquie. Papa m‘a raconté que le train a été mitraillé par les Anglais et c’est à ce moment qu’il a pu s’évader.
Il est caché par des paysans tchèques jusqu'au jour où les Américains arrivent au village, puis les Russes. Les Allemands prennent la fuite. Papa est rapatrié en mai 1945 et est conduit à l'Hôtel Lutétia à Paris - centre d'accueil et de tri des déportés libérés. Il y reçoit un colis. Papa va dans les maisons d’enfants et les orphelinats dans le fol espoir de retrouver son petit frère. Mais il ne le retrouve pas.
En 1948, Papa s’engage en Israël pour la guerre d’indépendance. Il revient en France et rencontre en 1952 sa femme chérie, Cécile, et fonde une famille.
(1) Isidore est transféré à Drancy le 19 août, Simon le 25 août.
ABRAHAM DRUCKER
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz
TONCIA DRUCKER
Internée au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 20 juillet 1942
Déportée à Auschwitz le 5 août 1942 par le convoi 15
Assassinée à Auschwitz
ISIDORE DRUCKER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 20 juillet 1942
Transféré au camp de Drancy le 19 août 1942
Déporté à Auschwitz le 21 août 1942 par le convoi 22
Assassiné à Auschwitz
SIMON DRUCKER
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 20 juillet 1942
Transféré à Drancy le 25 août 1942
Déporté à Auschwitz le 2 septembre 1942 par le convoi 27
Survivant d’Auschwitz
LYDIE DRUCKER SALTSMAN
Petite-fille d’Abraham et Toncia Drucker, fille de Simon Drucker et nièce d’Isidore Drucker
Née le 4 fèvrier 1957 à paris (12e)