David et Régina Storch et leur fille Charlotte, âgée de quelques mois (1933). Archives familiales

David STORCH
par sa fille Charlotte Barillet

Mon père, David Storch, est né en Pologne, à Narol, le 15 août 1901. Son père se prénommait Chaïm et sa mère Scheindel, née Arek.

Je ne sais pas grand-chose de sa famille, sinon qu’il a été orphelin très jeune.

Il semble qu’à ce moment-là, il ait quitté la Pologne pour venir retrouver un oncle en Autriche et que son enfance ait été très dure.

Il avait un frère aîné – beaucoup plus âgé que lui – qui vivait en Amérique et qu’il avait le projet de rejoindre lorsqu’il est arrivé en France, à la fin des années 1920. Mais il a rencontré ma mère et a abandonné ce projet.

Ma mère, Rifka Tepper, est née en Pologne à Jaroslaw le 7 novembre 1906. Sa mère se prénommait Schifre. Elle parlait rarement de sa famille.

Sa mère avait – d’un premier mariage – un ou deux enfants plus âgés qu’elle.

Ma mère disait avoir perdu son père (le second mari de sa mère) au moment de la guerre de 1914. Elle avait – plus ou moins – été élevée dans un orphelinat.

Elle disait avoir plusieurs frères et sœurs, mais – à ma connaissance – elle n’a jamais entretenu de relations suivies avec eux, à l’exception d’une demi-sœur qui était venue en France et qu’elle a rejointe vers la fin des années 1920, à Thonon-les-Bains. Elle a vécu quelque temps chez cette sœur, en travaillant dans une usine, les papiers à cigarettes Zig-Zag, puis a dû rencontrer mon père.

Ils sont venus à Paris où ils se sont mariés le 18 avril 1931 à la mairie du 12e arrondissement. Ils vivaient alors 35, rue Claude-Tillier.

Mon père était manœuvre et travaillait dans une usine où il occupait le poste de « placagiste ».

Il a appris à lire et écrire le français en suivant les cours du soir. Je crois qu’il avait à cœur de s’intégrer ; il était très attentif à ma scolarité et suivait de très près mon apprentissage de la lecture depuis la maternelle.

Il avait également certainement des activités syndicales ; j’ai le souvenir de réunions et surtout de l’occupation de son usine au moment du Front Populaire. Je revois, en particulier, une visite à l’usine occupée, ma mère apportant de la nourriture. Je l’accompagnais, ainsi que ma petite sœur.

Ma mère a travaillé au début de son mariage dans une épicerie juive de la rue de la Forge-Royale et s’est arrêtée à ma naissance pour élever ses enfants :
Charlotte, née le 5 février 1933, Paulette, née le 28 avril 1935, André, né le 20 mai 1939.

Nous vivions dans le 12e, 11 rue Lepeu Projetée, dans un logement de deux pièces cuisine, avec gaz et électricité, mais sans eau courante (l’eau et les toilettes étaient sur le palier…)

Mes parents parlaient le polonais entre eux. Je ne savais pas que nous étions juifs et je ne me souviens pas de fête ou de célébration religieuse quelconque.

À la déclaration de la guerre, mon père a voulu s’engager dans l’armée étrangère, mais il a été réformé ; il avait eu un accident de travail et avait perdu une (ou deux) phalange(s) à un doigt.

Au début de la guerre, mon père est resté travailler à Paris, mais ma mère avec ses trois enfants a été évacuée dans la Nièvre, dans un petit village du nom de Poiseux. J’étais scolarisée à l’école communale et nous avons été logés dans un pavillon de gardien du “château” de Poiseux.

Mon père est venu nous voir au moment de Noël, il a fait le trajet Paris-Poiseux aller et retour en bicyclette et je me souviens qu’il avait sur son porte-bagages une grosse valise à l’arrivée contenant sans doute des vêtements d’hiver, mais aussi des cadeaux de Noël.

Nous avons vu arriver les Allemands à Poiseux, et le “château” a été occupé.

Je me souviens qu’un soldat allemand logeait même au premier étage de notre pavillon. Nous sommes rentrés à Paris, vraisemblablement au moment de l’armistice.

Les documents que nous avons obtenus il y a quelques années et provenant du fichier familial de la Préfecture de Police de la Seine comportent :
la fiche familiale de recensement mentionnant pour mon père : “recherché février 1941” et “serait arrêté”, un document extrait du fichier du camp de Beaune-la-Rolande mentionnant la date d’arrivée de mon père : 14 mai 1941, le motif d’internement : en surnombre dans l’économie nationale”, et la date de mutation : “27 juin 1942”.

Entre la date d’arrestation de mon père : 14 mai 1941, et celle de sa déportation pour Auschwitz : 27 juin 1942 (convoi 5), j’ai le souvenir de quelques cartes de correspondance censurées, de colis que ma mère envoyait à Beaune-la-Rolande, et de cadeaux que mon père nous a fait parvenir vraisemblablement pour Noël 1941 : un manteau entièrement cousu main pour ma mère (mon père avait appris le métier de tailleur avant de venir en France et j’ai toujours connu à la maison une machine à coudre dont il se servait pour confectionner certains de nos vêtements d’enfants), et un livre illustré pour moi ; curieusement, il s’agissait d’un livre catholique pour enfants, je suppose que mon père n’avait pas eu d’autre choix…

J’ai aussi le souvenir d’un voyage à Beaune-la-Rolande, vraisemblablement quelques semaines avant la déportation, car il faisait très chaud.

De nombreuses familles comme la nôtre avaient eu l’autorisation de venir voir leur prisonnier. Mon père et ses camarades sont sortis du camp pour cette visite et sont restés avec nous toute la journée. Mais ils avaient été prévenus que s’ils tentaient de se sauver, leurs familles seraient arrêtées.

J’ai des souvenirs assez vagues de notre vie avec notre mère après l’arrestation de mon père. Nous n’avions pas beaucoup d’argent et je me souviens que nous allions assez souvent – avec deux ou trois familles juives de notre rue – prendre un repas chaud et gratuit dans une institution juive (je pense qu’il devait s’agir du dispensaire de la rue Amelot).

À partir de juin 1942, ma mère et moi avons porté l’étoile jaune.

Et puis, il y a eu la rafle du Vel d’Hiv à laquelle nous avons échappé grâce au courage de ma mère, les caches, toute cette vie clandestine… Mais cela est une autre histoire…

À la Libération, et sans que cela ait été dit vraiment, nous avons très vite compris que notre père ne reviendrait plus. La vue des premiers déportés et tout ce que l’on commençait à savoir sur les camps de la mort étaient autant d’horribles découvertes venant renforcer jour après jour l’idée de cette disparition sans retour.

Ce n’est qu’en 2004, à l’occasion d’un voyage à Auschwitz avec l’Association des Enfants Cachés que j’ai obtenu des archives du camp un certificat de décès de mon père mentionnant officiellement la date de sa mort : le 4 décembre 1942.

 

Témoignage recueilli en 2008

 

 

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DAVID STORCH
Interné au camp de Beaune-la-Rolande à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 28 juin 1942 par le convoi 5
Assassiné à Auschwitz le 4 décembre 1942

CHARLOTTE BARILLET
Fille de David Storch
Née le 5 février 1933