La famille Ernst, de gauche à droite, Israël, Marcel, Bayla, Bina et Myriam (Marie) (sd, sl). Archives familiales

Israël ERNST
par son fils Marcel

De l’histoire de mes parents, je n’en connais que les bribes fragmentées entendues par un jeune garçon que l’on voulait protéger des perturbations et des dangers.

Par les récits de mon père, je sais que sa famille vivait dans une zone tantôt polonaise, tantôt russe. Son père, mon grand-père, que je n’ai pas connu, était courtier en fruits : il achetait les récoltes sur pied en faisant ses tournées, parcourant la campagne à cheval, à la grande joie de mon père qui l’accompagnait de temps en temps. Mon père me racontait qu’il lui arrivait de monter à cru. Il savait même se tenir sous le ventre d’un cheval sellé : ces récits paraissaient extraordinaires pour l’écolier parisien que j’étais. Ce grand-père était un peu voltairien, antireligieux, proche des paysans auprès desquels il avait acquis une certaine popularité. En effet, il les avait aidés en déjouant les manigances de gens sans scrupule qui exploitaient leur crédulité et leurs superstitions, les manipulant avec des scenarii de fantômes pour récupérer leurs terres.

Mon grand-père a été tué dans un pogrom par des cosaques, – est-ce qu’il s’agissait vraiment de cosaques, je ne sais pas… ils étaient arrivés à cheval –. Dans mon enfance, les Juifs disaient cosaques dès lors que les agresseurs étaient à cheval. Il a été ligoté, insulté, frappé, on lui a enflammé la barbe, et il a eu le visage brûlé. Mon père, enfant, était présent, il a assisté à tout. Je ne sais pas ce qu’il en a été de ma grand-mère.

Je sais qu’ensuite mon père, orphelin, est parti à Varsovie. Là-bas, il a probablement été en relation avec la communauté juive et il est devenu tailleur. Il s’est marié avec ma mère, fille d’un rabbin qui était en même temps meunier : il exploitait un moulin et il étudiait les textes de la tradition. Ma mère était certainement plus influencée par la religion, mais elle a suivi mon père dans sa rupture d’avec le judaïsme religieux lorsqu’il est devenu un militant communiste, comme de nombreux Juifs de Varsovie. Il est arrivé que mon père, en Pologne, doive vivre à certains moments dans la clandestinité, dans des réseaux de caches, car les organisateurs étaient arrêtés dès qu’il y avait des tensions et des préparatifs de manifestations, comme à l’occasion du premier mai. Il avait un pseudonyme de militant. Après la guerre, j’ai rencontré à Varsovie un groupe de la coopérative des tailleurs, ses camarades d’alors, qui, à la mention de son nom de clandestinité, se sont tous levés en honneur à sa mémoire : ils ont alors cherché à me marquer leur grande estime pour le militant qu’avait été mon père en m’offrant un costume sur mesure. Malheureusement, j’ai dû partir pour suivre notre groupe de Français. Et je n’en sais guère plus sur ses activités, sauf qu’il avait été arrêté et condamné à mort et qu’il s’était échappé, alors qu’il était pendu par les pieds, en prenant le dessus sur son gardien. En 1929, il a pris la fuite, sous une nouvelle identité, avec l’argent que ma mère lui avait procuré. En 1930, sa femme et ses deux filles l’ont rejoint à Paris.

Pourquoi la France ? Ils avaient hésité entre la France et les États-Unis, mais les lectures de Victor Hugo, Zola et Anatole France les avaient décidés pour la patrie des droits de l’homme et de l’école laïque. Mon père lisait beaucoup, en yiddish, polonais, russe, allemand. Ma mère, elle, lisait le journal en yiddish.

Il est venu sous un faux nom qui est devenu celui de ma famille en France, “Ernst”, orthographié “nst” ou “nct”, avec ces papiers d’identité achetés par ma mère en Pologne. Ma mère s’appelait Bayla Sznur, ou Shnur si on l’écrit à la française, mais j’ignore le vrai nom de la branche paternelle. Il y a quelques années, nous avons fait déchiffrer et traduire leur contrat de mariage juif et il semblerait que mon père se soit nommé Halévy. Mais à l’époque, j’étais trop jeune, mon père parlait peu, dans un contexte qui, même avant-guerre, n’était pas favorable aux immigrés juifs de Pologne : plusieurs journaux vendus dans les kiosques étalaient leur rejet des “youpins”. Mon père était conscient des risques.

Je sais qu’il a vécu, au tout début, du côté de La Villette et que, suite à un accident, il a été hospitalisé pendant quelques mois. Puis il s’est déplacé, rapidement, rue du Château d’Eau, dans le 10e arrondissement, où habitaient beaucoup de Juifs. Je m’en souviens, j’étais tout petit, je suis né en 1931. Il a suivi des cours de coupe, s’est mis à son compte et a réussi à travailler avec les grands tailleurs de la Madeleine dont l’un est devenu son ami. L’ascension sociale a été rapide, il a pris un appartement plus grand, rue de l’Echiquier, et a même réussi à louer une maison de campagne dans l’Oise pour la famille durant les vacances d’été. Entre-temps, la famille s’était élargie avec l’arrivée de Pologne de la jeune sœur de ma mère, Chana Shnur. Elle s’est mariée à un Juif réfugié d’Allemagne, Max Lissec. Max était aussi communiste, il avait fui l’Allemagne nazie en vélo dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, depuis sa ville de Cologne. À Paris, il a suivi la filière habituelle et il est devenu tailleur à domicile. Max et Chana se sont installés dans le Pletzl, rue Vieille du Temple. Ils ont eu trois enfants : Marcel, Léon et Jacques, qui sont allés à l’école des Hospitalières-Saint-Gervais. Nos deux familles se fréquentaient beaucoup.

Mon père est resté fidèle à ses idées. J’ai vu la maison se remplir, petit à petit, d’Italiens anti-fascistes en exil, résolus à combattre Mussolini, d’engagés antinazis, des hommes jeunes, venant de toute l’Europe centrale pour combattre dans les Brigades Internationales en Espagne. L’appartement de mes parents servait de relais pour ceux qui s’enrôlaient dans les Brigades et qui transitaient par Paris avant de partir au front. Tous dormaient sur des matelas dans la salle à manger. Après l’écrasement des troupes républicaines, au moment du repli, ils sont revenus dans l’autre sens, et ma mère, qu’ils appelaient “le docteur”, soignait les blessés des Brigades et les Espagnols républicains. J’étais très jeune, mais mon père n’hésitait pas à m’emmener dans des réunions avec ma mère, je crois, de la M.O.I., surtout au moment du Front populaire. Je me souviens avoir vu là beaucoup de films antifascistes sur la guerre en Espagne, où l’on voyait les soldats combattre, les populations réfugiées, les avions, les bombardements.

Pendant les vacances, mon père venait nous rejoindre en vélo le dimanche, il venait seul ou avec des Italiens antifascistes. Max et Chana venaient aussi, avec leur famille. Max, qui avait été un footballeur réputé, gardien de but dans l’équipe de Cologne, arrivait toujours avec des cadeaux pour les enfants, il m’a offert un ballon. Ma mère préparait le repas pour de grandes tablées. Quand ils se réunissaient, ils dressaient un drapeau rouge et chantaient des chants en italien, en espagnol. Mon père aimait l’opéra ; il partageait avec Max une passion pour Caruso et Chaliapine, et lui-même chantait toutes sortes de chants des traditions de l’Est.

De nombreuses personnes venaient voir mon père. Il était considéré comme un sage, un “juste”, qui aidait à résoudre les problèmes et arbitrait les querelles.

Il parlait plusieurs langues, hormis le yiddish qu’il employait quotidiennement : le polonais, le russe et le français. Ma mère nous parlait en yiddish, je leur répondais en français. Entre eux, quand ils ne voulaient pas que je comprenne, ils parlaient en polonais – et ce sera notamment le cas, lorsqu’ils recevront de terribles nouvelles de leur famille restée à l’Est.

Je suis allé à l’école communale, à l’exclusion de tout patronage ou école communautaire, religieuse ou non. Mon père pensait que, dans un contexte où il y a égalité, comme celui de la République française laïque, il fallait tout faire pour devenir complètement français. À plusieurs reprises, mes parents ont hésité, par attachement à leur culture d’origine, à me mettre dans un cours où j’aurais appris à lire et écrire le yiddish, que nous parlions à la maison. Passionné de musique lyrique, signe d’une certaine aristocratie laïque, mon père m’a acheté un violon. En revanche, je savais que j’avais été circoncis, mais il était entendu que c’était “pour des raisons d’hygiène” : un enfant mâle devait être circoncis. Chaque étape de ma vie donnait lieu à une réflexion pour que mon enracinement dans la société française ne me coupe pas totalement de notre culture d’origine. Aussi mon père suivait-il de près mes études, en marquant fortement son attachement à mon travail scolaire. Lorsque je ramenais mon carnet de notes, il prenait le temps de s’arrêter dans son travail : mon rang dans la classe était très important et récompensé. Il allait aussitôt, toutes affaires cessantes, m’acheter, en ma compagnie, un livre de Jules Verne chez “Gibert jeune”. C’est ainsi que j’ai lu tout Jules Verne, dans la collection rouge de l’intégrale. Il voulait faire de moi un homme profondément instruit, quelqu’un dont le métier se fonderait sur la connaissance et la réflexion, sur l’usage d’une intelligence ouverte et attachée au progrès technique et humain.

On n’ignorait rien du nazisme. Mes parents avaient reçu, année après année, les pires nouvelles de la part de leur famille restée à l’Est, et dont je ne sais quasiment rien, sinon qu’elle a disparu. Je crois que ma mère avait deux frères, l’un en Russie, l’autre à Berlin. Le frère de ma mère, resté à Berlin, a été tué par les nazis avec sa femme et ses trois enfants. C’était avant la guerre, au moment de la Nuit de Cristal. Pour la première fois, j’ai vu ma mère sangloter, mes sœurs m’ont dit d’aller près d’elle et j’en suis encore bouleversé. On savait qu’en Allemagne, il y avait une chasse aux Juifs et des meurtres de Juifs.

C’est pour cela que mon père, au moment de la mobilisation de 1939, s’est porté volontaire pour combattre dans l’armée française. Mais comme il avait déjà un certain âge et une famille de trois enfants, il n’a pas été enrôlé. Il n’a pas quitté Paris, mais il n’est pas resté inactif.

À l’arrivée des Allemands, mon père a commencé à organiser des réunions à la maison. Les hommes et les femmes venant de l’Est semblaient sortis des romans russes ou des nouvelles de Tchekhov. Je me souviens d’une femme, les nattes nouées autour de la tête, une veste de cuir. Les femmes, souvent des enseignantes ou des pédagogues, avaient l’air de combattantes, de femmes énergiques et déterminées qui voulaient instruire et émanciper le peuple. Comme Sophie Schwartz et Louba, que je retrouverai plus tard à la CCE.

J’avais deux sœurs plus âgées nées en Pologne, Myriam et Bina. L’aînée, Marie (francisé), qui avait 18 ans, était courtisée par un garçon non-juif. C’était au début de l’Occupation. Il aimait ma sœur, s’inquiétait pour elle et voulait l’épouser sans tarder pour la protéger. Mes parents ont longuement hésité. Le garçon les a convaincus. Pendant l’Occupation, ils se sont donc mariés, malgré la violente opposition des parents du garçon. Lui a choisi ma sœur et a rompu avec sa famille.

Mon père était un homme prudent, aguerri par les années de répression polonaise ; il avait prévu un dispositif pour s’échapper, et c’est à dessein qu’il avait loué, sous un faux nom, une petite pièce au sixième étage où se cacher. Dans les appartements parisiens d’une certaine taille, on avait dans la cuisine, à l’arrière, une porte qui ouvrait sur un escalier de service, vers les chambres de bonnes, et par lequel on pouvait sortir discrètement en cas de visite intempestive. Malheureusement, ce fut insuffisant. Mon père a été arrêté par les brigades spéciales de police en civil, comme communiste résistant et non comme juif.

Il y eut une première tentative d’arrestation. Normalement, mes parents avaient un code pour filtrer l’entrée, quand ils sonnaient à la porte. Ce jour-là, ma mère venait de sortir et mon père n’a pas pris garde et a ouvert à la brigade. J’ai assisté à leur arrivée. Mon père, plutôt gentil et calme, a été plaqué immédiatement contre le mur, insulté, brutalisé. Plusieurs de ces hommes ont jeté par terre tout ce qui se trouvait à leur portée, vidé les placards et les armoires, avec une grande violence. Ils cherchaient du matériel de “propagande”. J’étais petit, à peine 8 ans, et on ne faisait pas trop attention à moi. Quand ma mère est arrivée, elle m’a donné un paquet de tracts, m’a dit de le cacher dans une cachette que je connaissais : je les ai glissés dans l’espace compris entre l’assise et le dossier d’un des gros fauteuils du salon. Les policiers n’ont rien trouvé et ils ont dû le relâcher. Mais à la deuxième tentative, ils l’ont arrêté.

Je n’étais pas là, c’était un jeudi, il n’y avait pas classe, j’étais avec un copain au cinéma. Quand je suis rentré, tout le monde était en pleurs. Il n’est même pas sûr qu’ils aient eu besoin d’un prétexte, de tracts ou de preuve quelconque d’activité.

Du jour au lendemain, la maison est devenue différente, il n’y avait plus de père. L’atelier où il y avait toujours des gens qui travaillaient était vide. Les problèmes d’argent ont commencé. Tout autour de nous, je voyais les femmes juives demeurées seules qui travaillaient très dur, avec d’énormes difficultés.

Ma plus jeune sœur a pris des cours à l’école Pigier pour faire de la dactylographie et pouvoir nous faire vivre. Pour moi, c’était comme un bateau démâté. Ma mère savait où était mon père puisqu’elle m’y a emmené. Les familles avaient le droit de voir les hommes arrêtés. Mon père a d’abord été dans la caserne des Tourelles, du côté de Reuilly. Je me souviens que, parfois, il y avait la queue dehors, il pleuvait pendant des heures. Je ne sais pas combien de temps il y est resté. C’était un cadre d’incarcération avec un minimum de règles appliquées, notamment, il n’y avait que des hommes parmi les prisonniers : on n’arrêtait pas les femmes. À l’intérieur, il y avait de grandes salles. Durant les visites, les gens étaient assis sur des bancs, mon père me prenait sur les genoux et je me souviens que j’étais surtout mécontent parce que mes parents parlaient en polonais pour que je ne comprenne pas.

Néanmoins, ce qu’il a dit à ma mère, et que j’ai pu savoir, c’est qu’il avait été arrêté sur dénonciation. Un policier résistant lui a dit qu’il avait été dénoncé par le beau-père de ma sœur Marie, hostile au mariage de son fils. Cet homme, devenu un collaborateur marqué, a mis son cabinet d’architecture au service des Allemands pour conduire les ouvrages militaires servant de planques aux tanks et aux avions des occupants.

Mon père a été envoyé et enfermé dans un des baraquements les plus surveillés, à Pithiviers, où il a retrouvé son beau-frère, mon oncle Max Lissek, arrêté en tant qu’Allemand par les autorités françaises, avant même l’arrivée des occupants. Et c’est cette même administration française qui, l’ayant arrêté en tant qu’Allemand et interné dans un camp, l’a finalement livré aux nazis, en tant que Juif et antifasciste ! Ces internements continuaient à maintenir une apparence d’un minimum de cadre légal et de droits, on avait des nouvelles. Mon père a même pu envoyer une photo où il était avec son beau-frère. Max Lissek et mon père ont été déportés par le même convoi 4.

Je ne l’ai plus revu. Je ne sais pas comment ma mère a appris la déportation de mon père. Elle ne voulait pas me traumatiser.

Elle-même a été arrêtée le 16 juillet 1942, lors de la rafle du “Vel d’Hiv”.

Elle m’a sauvé en me faisant partir de la maison juste à temps. Jusqu’à cette rafle, on ne s’était pas attaqué aux femmes et aux enfants qui semblaient hors des cibles d’arrestation. Ma mère a voulu que j’aille à la cérémonie de remise des prix, le 12 ou le 13 juillet – à l’époque, c’était la fin des classes et la distribution des prix était une fête très solennelle –. Dans une grande salle, on m’a appelé à l’estrade pour recevoir mon prix d’honneur. Ensuite, directement, elle m’a emmené à la gare des autocars à Jean Jaurès, au bout du canal Saint- Martin, et m’a remis un petit bagage. Elle avait téléphoné auparavant à Madame Maillet, la dame qui nous louait la maison de campagne dans l’Oise, celle où nous nous réunissions en famille, et qui m’attendrait à la sortie du car. Ma mère m’a calmement expliqué le trajet, me disant que Madame Maillet m’attendait à l’arrêt : je n’ai plus revu ma mère. Ma deuxième sœur, Bina, la plus jeune, a été arrêtée avec ma mère, le 16 juillet 1942.

Après la guerre, je suis retourné rue de l’Echiquier et j’ai retrouvé la concierge. Elle aimait bien ma mère et était encore atterrée par la scène de la rafle ; les policiers avaient pris ma mère au lit, elle était malade, elle ne voulait pas se lever. La concierge m’a dit : “C’était terrible, un des policiers l’avait attrapée par les cheveux et la tirait pendant que les autres la poussaient et la frappaient pour l’obliger à descendre l’escalier. Dans les cris. Les gens de l’immeuble, les voisins, se taisaient”.

Ma sœur Marie a eu un enfant. Son mari, Claude Bondon, a été considéré comme “enjuivé” et a été envoyé au STO. Elle s’est retrouvée seule et a dû mettre son bébé en nourrice pour pouvoir travailler, dans les ateliers de couture, je crois, mais l’enfant est mort. Ma sœur payait aussi pour moi la nourrice chez qui elle m’avait placé. Elle a été arrêtée à cause d’un escroc, un trafiquant juif, qui expédiait des pièces d’or, au nom usurpé de ma sœur, afin de rester lui-même prudemment à l’abri. L’envoi prohibé a été découvert, dénoncé, et ma sœur a été arrêtée. Elle a été déportée en tant que juive, bien que mariée avec un aryen.

Quand il est revenu, mon beau-frère était désespéré. On s’est retrouvés plus tard, dans les années 50, mais les liens s’étaient distendus. Il a travaillé à la Gaumont, il a développé et dirigé la salle du cinéma Wepler, place Clichy. Il s’était remarié et avait eu un bébé.

Quant à moi, je n’ai pas été caché dans une seule famille, j’ai été dans divers endroits, puis en foyer après la guerre.

Personnellement, j’ai bien sûr été profondément marqué. Mais, instinctivement, j’ai eu des réactions de survie. J’ai conservé en moi ce qui pouvait être tonique : c’était l’image que m’avaient léguée mes parents. Je me suis concentré sur cette vision que j’avais d’eux quand ils étaient vivants et combattants et je me sentais un privilégié par rapport à tous ceux qui n’avaient pas eu cette chance de pouvoir vivre avec un héritage familial de chaleur, de haute moralité et de conviction humaniste.

Plusieurs fois, on m’a demandé de raconter ce que je sais de l’histoire de mes parents. Mais je n’en ressentais pas le besoin ni la capacité. Ce monde disparu dont je portais en moi les traces ne pouvait pas être vécu par des tiers plongés dans d’autres problématiques. Et je ne voulais pas que l’on me traite en victime. L’écart entre l’émotion intime du souvenir et le récit est quelquefois trop grand.

Mes filles, chacune leur tour, ont insisté. Je constate que leur génération a incorporé cette mémoire, à leur manière, dans une sorte de construction intérieure. Je pensais qu’elles en seraient dégagées et j’en ai été surpris.

 

Témoignage recueilli en 2011

 

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ISRAËL ERNST
Interné au camp de Pithiviers à partir du 21 mars 1942
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 10 juillet 1942 à l’âge de 48 ans

MARCEL ERNST
Fils d’Israël Ernst
en 1931