Paul Waitzman au camp de Pithiviers (entre septembre 1941 et juin 1942, sd). Archives familiales

Paul WAITZMAN
par sa fille Fernande Waitzman

Mon père Aron Paul Waitzman est né le 25 avril 1893 à Varsovie. Il avait un frère et trois sœurs. Il venait d’un milieu apparemment peu religieux, lui-même était bundiste. De ceux qui sont restés en Pologne, aucun n’a survécu.

D’après des photos de famille, ils avaient ensemble un atelier de maroquinerie. Sa famille était modeste mais vivait correctement. Il était fiancé à ma mère Deborah Rusler qui venait d’un milieu social un peu plus élevé. Son père était chef comptable. La famille se composait de six enfants.

Les conditions de vie en Pologne à cette époque ont poussé mon père à émigrer. Entre 1920 et 1923, il a fait plusieurs tentatives, avec des visas provisoires, pour chercher du travail en Belgique où s’étaient installés de la famille et des amis. Ses recherches ont abouti en 1924, il a fait venir ma mère et ils se sont mariés religieusement à Bruxelles où est née ma sœur, le 24 décembre 1934.

On leur avait laissé miroiter une possible émigration en Argentine qui n’a pas eu lieu. En 1925, ils s’installent en France, à Montgeron dans l’Essonne, avec ma grand-mère maternelle. Mon père ayant trouvé du travail, la situation s’est améliorée et ils ont pu se loger à Paris. Pendant plusieurs années, mon père a été tour à tour façonnier ou chez un patron. Après une tentative dans l’épicerie, il s’est finalement installé à son compte, ouvrant un petit atelier dans une des pièces de l’appartement, ma mère s’occupant de la partie commerciale.

Jusqu’à la guerre, la famille a mené une vie plutôt heureuse. Une sœur de ma mère est venue en France, la situation matérielle était celle de toutes les familles juives de l’époque qui avaient un petit commerce ou un petit atelier, travaillant beaucoup, mais vivant correctement. Mon père adorait l’opéra. Mes parents y allaient quelquefois, mon père lisait beaucoup en yiddish et en français, et ils se recevaient beaucoup entre amis.

J’étais née dans l’intervalle en décembre 1934, j’ai donc peu de souvenirs personnels, mais ma sœur, mon aînée de dix ans, m’a beaucoup parlé, et j’ai pu conserver des photos de cette époque.

En juillet 1939, pour les vacances, mes parents m’ont envoyée en colonie familiale chez une cultivatrice en Vendée. La guerre ayant éclaté, mes parents lui ont demandé de me garder et en 40, à l’exode, ils sont venus s’y réfugier. Mon père n’a pas été mobilisé, son état de santé n’était pas très bon.

Début 1941, quand les premières rafles ont commencé, mon père est retourné en Vendée, à la demande de ma mère, mais il n’a pas voulu y rester. Il est rentré et, la situation se dégradant, ma mère l’a convaincu de se réfugier de l’autre côté de la ligne de démarcation, ce qu’il a tenté de faire mi-1941, mais s’est fait prendre et a été mis en prison à Bourges. Les peines encourues étaient de quinze jours à trois semaines. Dans l’intervalle, les Allemands ont donné l’ordre de ne plus relâcher les Juifs, et il a été transféré à Pithiviers, selon les papiers officiels, le 18 septembre 1941.

Comme il avait des problèmes hépatiques, ma mère cuisinait et lui apportait de la nourriture et du linge propre tous les quinze jours. Il organisait des spectacles d’opéra et lorsque ma mère, ayant soudoyé un gendarme, a tenté de le faire évader, il a refusé sous le prétexte que “le commandant a dit que c’était un camp d’hébergement !!!”.

Je ne suis jamais allée voir mon père à Pithiviers. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à la prison de Bourges, j’avais 6 ans et demi et ça, je m’en souviens !

Il a quitté Pithiviers le 24 juin 1942 et a été déporté le 25 à Birkenau. Comme il était assez fort, on l’a nommé chef de groupe de travail avec ordre de frapper ses codétenus s’ils ne travaillaient pas assez. C’était un homme très doux, il n’a jamais donné une gifle à ses filles, il était bien incapable de frapper quelqu’un. C’est donc lui que les Allemands ont battu jusqu’à ce qu’il en meure car il n’était pas en bonne santé.

Dans l’intervalle, nous avons été arrêtées, ma mère, ma sœur et moi le 16 juillet 1942, mais cachées par des voisins (qui estimaient beaucoup mon père), avant l’arrivée des camions. Des amis nous ont ensuite aidées à passer la ligne de démarcation et nous nous sommes réfugiées à Grenoble où, après bien des péripéties, nous sommes restées jusqu’en novembre 1944.

Rentrées à Paris, nous avons été hébergées chez mon oncle, puis avons pu récupérer notre appartement. Ma mère était une femme très courageuse. Elle s’est remise au travail, a rouvert son atelier.

Étant l’une des rares familles à avoir un logement à l’époque, nous y avons accueilli d’anciens déportés et prisonniers de nos amis. À chaque arrivée de déportés au Lutétia, ma mère y allait, sans résultat. Mon souvenir le plus terrible de cette époque : en rentrant de l’école j’ai vu, de dos, allongé sur le divan un petit monsieur qui ressemblait à mon père. J’ai hurlé “Papa”, ce n’était pas mon père, mais un ami que ma mère avait recueilli car tous les siens avaient été déportés.

Ma mère étant très active à l’UJRE et dans tous les comités d’accueil après la guerre, j’ai passé toute mon enfance en commémorations à Bagneux, projections de films, inaugurations de monuments, fêtes de charité, associations de déportés et d’enfants de déportés. J’avais 10 ans, j’ai des souvenirs très pénibles de cette époque, qui s’ajoutent à mon propre vécu de la guerre. J’ai mis des années à m’en remettre J’ai tenté d’occulter cette période pour avoir une vie “comme les autres” et j’ai peu participé, devenue adulte, à la vie juive, sauf les commémorations du 16 juillet.

À la mort de ma mère en 1986, je me suis sentie obligée d’entretenir la mémoire de tous ces événements pour mes petits-enfants.

 

Témoignage recueilli en 2009

 

 

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PAUL WAITZMAN
Interné au camp de Pithiviers à partir du 18 septembre 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz le 4 septembre 1942 à l’âge de 49 ans

FERNANDE WAITZMAN
Fille de Paul Waitzman
Née le 13 décembre 1934 à Paris 10e, décédée le 13 décembre 2012