Srul Aronczyk (au centre) au camp de Pithiviers (hiver 1941-1942, sd). Archives familiales

Srul ARONCZYK
par sa fille Paulette Kac

Mon père est né le 15 août 1908 à Stolpce en Pologne, dans une région frontalière avec la Russie. Sa famille était composée de ses parents (Cholem et Beila), et de cinq garçons et une fille. Mes grands-parents étaient paysans.

Mon père est arrivé en France en 1930 ; il s’est marié, uniquement religieusement, avec ma mère Esther Buchwald, qui venait de Varsovie. Ils eurent deux enfants, ma sœur Régine née en 1936 à Paris (elle est décédée le 9 mars 1942), et moi-même en 1941.

Mes parents travaillaient ensemble comme tailleurs à domicile.

Le 14 mai 1941 (j’avais alors trois mois), il a été convoqué par le “billet vert” au Gymnase Japy d’où il fut transféré à Pithiviers où il travailla pour une sucrerie jusqu’au 25 juin 1942, date à laquelle il fut déporté par le convoi 4 pour Auschwitz. Je ne connais pas la date de son décès qui fut déclaré officiellement à la date de son départ.

Mon père qui craignait des représailles se présenta à la convocation. Un voisin lui avait conseillé de ne pas y aller. Lui-même ne s’est pas présenté au Gymnase et a réussi à échapper à la déportation.

J’ai appris récemment (par des recherches sur le site de Yad Vashem) que mes grands-parents avaient été massacrés dans le ghetto de Stolpce. Deux de leurs fils ont été assassinés, Moishe à Maidanek, Itsrac à Minsk, avec sa femme et ses deux enfants.

Il y a deux ans, j’ai retrouvé un frère et une sœur de mon père, les deux plus jeunes qui vivent actuellement en Australie, à Melbourne. Mon oncle, Chaim, a été soldat en Sibérie et ma tante a combattu dans les maquis organisés par les trois frères Bielski qui ont sauvé 1200 Juifs.

Après l’arrestation de mon père, ma mère, ma sœur et moi sommes restées à notre domicile, 16 rue Robert Houdin, Paris 11e. À cette période, les femmes ayant des enfants de moins de 16 ans n’étaient pas encore inquiétées. Mais malgré tout, nous dormions tous les soirs dans la cave.

Tous les voisins de l’immeuble étaient au courant de notre présence ; nous avons eu de la chance d’être aidées par les concierges, Maurice et Lucie Robcis. Ils nous apportaient des aliments, en particulier du lait qui leur était attribué et qu’ils ne consommaient pas. Nous y sommes restées jusqu’à notre départ de Paris en 1942.

Avant la grande rafle de juillet 1942, mon oncle, prisonnier qui s’était évadé, a réussi à obtenir des faux papiers pour nous, ainsi que pour sa femme (la sœur de ma mère) et leurs trois enfants. Avant la guerre, ils vivaient à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). C’était un militant communiste, ce qui lui a facilité la tâche pour avoir des faux papiers et trouver un endroit pour nous cacher, au Puy-en-Velay (Haute-Loire). Cette région est très connue maintenant, comme ayant été un haut lieu de la Résistance.

Durant le voyage en train, qui à l’époque était très long, ma mère, vu mon jeune âge, craignant que je ne pleure durant le trajet, a pensé qu’il était nécessaire de me mettre un chiffon dans la bouche, pour ne pas nous faire remarquer. Si elle avait dû me consoler, elle aurait dû me parler et son accent très prononcé nous aurait fait repérer. Ceci, je ne l’ai appris que très récemment par l’aînée de mes cousines.

Nous nous sommes retrouvés à huit dans une maison isolée qui ne comportait que deux pièces. Lorsque nous étions cachées au Puy, c’est mon oncle qui, au risque de sa vie, subvenait à tous nos besoins alimentaires. C’est grâce à des gens comme Albert Rachmel, marié avec la sœur de ma mère, qui a aidé également d’autres personnes, que nous avons survécu.

Après la Libération, de retour à Paris, nous avons trouvé le logement vide. Nous espérions chaque jour le retour de mon père, ignorant à l’époque le sort qui lui était réservé à Auschwitz, comme à tous les autres. Dans la rue, nous dévisagions les passants qui pouvaient lui ressembler, supposant qu’après tant de souffrances, il avait pu devenir amnésique. Pour ma part, je n’avais que des photos pour éventuellement le reconnaître. Nous avons longtemps espéré son retour…

Notre vie, après la guerre, n’a pas été facile. Ma mère, étant finisseuse, gagnait très peu sa vie et ne s’est jamais remariée. Ayant été sous-alimentées, ma sœur et moi avons eu une maladie pulmonaire grave, ce qui a nécessité séparation, préventorium et sanatorium, et nous a empêché d’avoir une scolarité normale.

Nous nous sommes mariées toutes les deux. Ma sœur a deux enfants et deux petits-enfants. Moi-même, deux filles et six petits-enfants dont nous sommes très fiers.

La vie continue…
 

Témoignage recueilli en 2010

 

Revenir en haut

SRUL ARONCZYK
Interné au camp de Pithiviers à partir du 14 mai 1941
Déporté à Auschwitz le 25 juin 1942 par le convoi 4
Assassiné à Auschwitz

PAULETTE KAC
Fille de Srul Aronczyk
Née à Paris en 1941